Faut-il parler d’une planète voire d’une galaxie Zola, ou d’une étoile souveraine qui régnerait depuis plus d’un siècle, bravant batailles et tourments, au firmament des lettres ? L’image semble trop éloignée pour dépeindre l’homme et l’œuvre, tellement proches de nous, nourris de passions humaines qui nous restent familières. Pas d’astre mort chez Zola, mais une lumière venue d’hier qui transperce nos aujourd’hui.

Parler de « Bête humaine » à propos de l’auteur du Ventre de Paris serait plus juste, mais par trop réducteur. On y verrait la fascination pour la mécanique et la puissance tellurique des locomotives, pour cet élan industriel qui marqua la fin du XIXe siècle. On y trouverait aussi force meurtres, suicides et catastrophes, dont la série des Rougon-Macquart est émaillée. Mais on passerait à côté de la curiosité illimitée du grand Émile pour son temps, de son combat sans faiblesse pour la justice sociale (Germinal, L’Assommoir), de son dégoût de l’argent, de la finance et de la cupidité (L’Argent, La Curée ou encore La Terre). On négligerait son regard aigu et bienveillant sur les femmes, du Bonheur des Dames à Nana. Ou son patriotisme lucide (La Curée).

Sans doute La Comédie humaine aurait-elle pu désigner sans la trahir la geste littéraire de ce bourreau de travail qu’était Zola, mais Balzac était passé par là, mû par son ambition de proposer une « histoire naturelle de la société ». Naturalisme dont Zola sera de son vivant le chef de file incontesté, bien décidé à imposer le réel – et souvent le peuple cher à Hugo – dans la fiction.

Alors, au moment de déplier ce numéro spécial réalisé pour les 120 ans de sa mort (le 29 septembre 1902, dans des circonstances toujours mal élucidées), voyons cet écrivain hors-norme comme un monument national – au rayonnement mondial –, un monument où la chair et le sang auraient remplacé la pierre. Un monument à entrées multiples qui se visite (et se revisite) avec lenteur si on veut en prendre la juste mesure. À l’évidence coexistent plusieurs Zola dans Zola. L’homme qui se documente à la manière d’un journaliste, qui multiplie notes et fiches, qui interroge, soupèse, construit sa trame. Puis qui lâche la bride à son imagination pour créer de toutes pièces des personnages uniques, plus vrais que vrais, de Gervaise à Étienne Lantier, parmi tant d’autres. Il y a encore Zola l’épris de justice, au point de risquer son honneur, sa gloire et même sa vie pour défendre Dreyfus, disons la vérité (en marche) face à l’ignoble mensonge. Et puis il y a l’homme privé, le fils d’Italien passionné de progrès (de la photographie à la bicyclette…), de nature et d’animaux. L’homme à la double vie, entre Alexandrine et Jeanne, entre Paris et Médan. L’homme enfin qu’Anatole France, lors du transfert de ses cendres au Panthéon, qualifia comme le rappelle ici Robert Badinter de « moment de la conscience humaine ». 

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