Que dirait Zola face aux tumultes de notre temps ? Trois enjeux retiendraient assurément son attention.

Nul doute, d’abord, que face au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, Zola éprouverait sidération et désarroi. Lui qui s’installa en 1878 à Médan pour y puiser cette inspiration si puissante et si féconde, génératrice de ce colosse littéraire : Les Rougon-Macquart. Lui qui s’entoura d’une multitude d’animaux et qui comprit, visionnaire, que l’homme en société ne se décorrèle pas de son environnement physique. « Vous imaginez-vous la nature sans bêtes, une prairie sans insectes, un bois sans oiseaux, les monts et les plaines sans êtres vivants ? » clamait-il à la séance annuelle de la Société protectrice des animaux, le 25 mai 1896. Pourtant, les sciences et la technique qui accompagnèrent le siècle des premières transformations industrielles devaient, à terme, soulager l’humanité de tous ses maux ! Et voilà que cette foi utopiste et enthousiaste qui habita le grand homme, essentiellement à la fin de sa vie, se heurterait aujourd’hui à un monde aux portes de l’abîme…

Ah ! l’homme ne change pas, s’indignerait ensuite Zola au regard des inégalités sociales globalisées… « Les 1 % les plus riches se sont accaparé dix-neuf fois plus de la croissance globale des richesses que les 50 % les plus pauvres de l’humanité depuis 1995 », nous rappelle Oxfam. Et que dire alors de ces fameux progrès technologiques ? Ah ! le « trading haute fréquence » et autres mécanismes spéculatifs ne sont-ils pas aujourd’hui les simples relais des pulsions de cette humanité toujours fascinée par le pouvoir, aveuglée par la cupidité et les funestes machinations qu’elle génère parmi les hommes ? « Dans ces batailles de l’argent, sourdes et lâches, où l’on éventre les faibles sans bruit, c’est l’atroce loi des forts », s’indignait Zola dans son roman L’Argent, en 1891.

Enfin, pour ne retenir qu’un autre thème d’une gravité ancestrale, celui de l’antisémitisme, et alors que les tragédies du passé auraient dû nourrir nos sociétés et leur apporter une maturité pérenne, voilà qu’au sein même de notre démocratie ressurgit le mal, exacerbé par cette modernité numérique qui parfois nous aliène et souvent nous fragilise face aux dérives complotistes. Des dérives dont certains commentateurs révisionnistes exploitent d’ailleurs la dynamique pour en faire un programme politique ! Le protagoniste si immense que fut Zola pendant l’affaire Dreyfus se retournerait dans sa tombe… Lui qui, au péril de sa vie, se lança dans cette aventure avec la fougue et l’audace d’un géant. Lui qui décida de porter l’Affaire au civil, en jetant aux yeux de la France entière le fameux « J’accuse… ! » : « La vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera. » Le capitaine Dreyfus fut réhabilité le 12 juillet 1906. 116 ans plus tard, tout est-il à refaire ?

Alors, avons-nous encore des raisons d’espérer ? Heureusement ! Zola s’émerveillerait devant nombre d’évolutions de notre monde. Oui, les luttes sociales ont abouti, en France, à un modèle enviable et envié. Oui, la société civile s’est structurée autour d’associations et d’organisations puissantes de défense des droits humains. Oui, les progrès scientifiques et technologiques ont bien été les moteurs du changement. Ainsi s’enflammait-il déjà, dans son roman Travail, en 1901 : « Demain, l’homme pourra correspondre d’un bout de la Terre à l’autre, sans fil ni câble. La parole humaine, le geste humain feront le tour du monde, avec la rapidité foudroyante d’un éclair. » 

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