L’homme qui doute
Temps de lecture : 13 minutes
« Le principal trait de mon caractère ?
Je ne sais pas.
Ma qualité favorite ?
Je ne sais pas.
Mon principal défaut ?
Je ne sais pas.
Mon occupation préférée ?
Le travail.
Mon rêve de bonheur ?
Ne rien faire.
Quel serait mon plus grand malheur ?
Être dans le doute. »
Ainsi Émile Zola répond-il au questionnaire des « Confidences de salon » de La Revue illustrée. De sa vie intime, cet homme secret a laissé peu de témoignages : pas de journal, pas de mémoires. Sa correspondance n’était pas destinée à être publiée. Le docteur Toulouse, qui se livrera à une enquête médico-psychologique, confirme sa tendance morbide au doute. Absence de certitudes et conflit entre des forces opposées suscitent une angoisse qui le torture par moments mais génère aussi sa contrepartie et son remède : le travail. Ce labeur de forçat qui le cloue à son bureau tous les jours est résumé dans la devise balzacienne inscrite au-dessus de la cheminée monumentale de son cabinet de travail à Médan : Nulla dies sine linea – « Pas un jour sans une ligne ». Le travail est son principe de vie, il lui a permis de s’extirper de la misère puis de conquérir, roman après roman, la célébrité et la richesse. À ses côtés, une femme : Alexandrine. Elle l’aime passionnément et acceptera tout de lui, non sans résistance, pour cette unique raison : elle croit en lui. Cette confiance est un trésor inestimable.
De l’allure, grande, belle fille et forte en gueule. Alexandrine a 25 ans et cache un lourd secret
La jeunesse d’Alexandrine Meley semble tirée d’un roman de Zola : naissance illégitime, mère enlevée par le choléra quand elle a 10 ans, enfance misérable dans le quartier des Halles à Paris. Une fille du peuple, ouvrière comme sa mère dans un atelier de fleuristes, ces jeunes filles qui de leurs doigts agiles fabriquent les fleurs en tissu qui ornent les chapeaux et les toilettes des dames – relisez L’Assommoir et les débuts de Nana chez sa tante, Mme Lerat – puis lingère. Quand elle rencontre Émile Zola, cette Mimi Pinson pose aussi pour les jeunes peintres, les Monet, Bazille, Cézanne. Elle se fait appeler Gabrielle, elle habite les Batignolles et le quartier de la place Clichy. De l’allure, grande, brune, belle fille et forte en gueule. Elle a 25 ans et cache un lourd secret.
Quelques années auparavant, elle a mis au monde un enfant, une petite fille et, comme des milliers de jeunes femmes pauvres, elle a dû la confier aux Enfants trouvés, autant dire l’abandonner. Le registre de réception de l’administration précise que Caroline Gabrielle Meley (le prénom de sa mère et celui qu’Alexandrine adopte) est en bonne santé et a pu être envoyée en nourrice à la campagne à l’âge de 5 jours. Le règlement est formel. Sa mère ne la reverra pas et ne pourra jamais savoir ce qu’elle est devenue. Ainsi, Alexandrine ignore que la petite Caroline est morte à 3 semaines, le 23 mars 1859, le jour même de ses propres 20 ans. Même Zola n’aurait pas osé l’écrire ! Dans Le Rêve – le seul de ses romans à mettre entre les mains d’une jeune fille, selon son auteur –, ce thème de l’abandon aux Enfants trouvés revient avec une étonnante précision. « Une femme qui n’a pas d’enfant n’es


« Il existe chez Zola une sorte d’amour de la justice »
Robert Badinter
« Délibérément, Zola choisit la place la plus exposée. Il fut ce volontaire de la vérité qui se jeta parmi les premiers, à découvert, à l’assaut du mensonge. Ainsi, c’est moins l’engagement en quelque sorte naturel de Zola qui nous saisit que l’intensité de cet engagement, son caractère total et,…
Trois maux et une espérance
Martine Le Blond-Zola
Que dirait Zola face aux tumultes de notre temps ? Trois enjeux retiendraient assurément son attention.
Nul doute, d’abord, que face au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité, Zola éprouverait sidération et désarroi. Lui qui s’installa en 1878 à Médan pour y puiser c…
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