On connaît la méthode pour détruire un service public. La logique en a été livrée par la grande figure de la gauche critique américaine, Noam Chomsky, depuis des années déjà, avec une précision glaçante : « Commencez par baisser son financement, il ne fonctionnera plus. Les gens s’énerveront. Ils voudront autre chose. » C’est la technique de base qui a été employée, aux États-Unis comme dans de nombreux autres pays, pour privatiser le chemin de fer, casser l’hôpital public, monter la population contre les services postaux, livrer les professeurs au soupçon collectif d’être des incapables, des vacanciers permanents. Monter le peuple contre ses propres intérêts en somme, lui faire haïr ceux qui le servent, moyennant une certaine sécurité de l’emploi certes, mais des revenus peu flamboyants. Les faire passer pour des profiteurs, des planqués qu’il faudrait ramener à la toise néolibérale commune, presser comme des citrons et jeter après usage, aussi impitoyablement que les autres.

Or, il faut le rappeler, les services publics sont au fond la seule richesse des pauvres dans les pays privilégiés comme les nôtres. Longtemps, l’une des fiertés de vivre en France, l’une des vraies sources vives de l’amour pour notre pays, a consisté à savoir que le clochard ou le retraité du monde agricole y étaient traités avec la même technique de pointe par les hôpitaux de l’Assistance publique que le patron du CAC 40 ou le président de la République. « De la première dame au dernier trav’ du pays », comme dit le rappeur Orelsan dans Suicide social. Un même traitement médical d’élite, une même humanité soignante au service d’une même humanité souffrante. Une sorte d’égalité de traitement face à la maladie, pas seulement symbolique, mais reproduisant l’égalité de tous face à la mort, celle qui fait philosophiquement de nous des égaux radicaux. Une commune solidarité face aux maux physiques. Ou encore face aux besoins primaires, comme se déplacer ou élever ses enfants. Face à tout ce qui fait de nous des hommes unis par notre faiblesse, mais aussi par la force d’y faire face tous ensemble.

C’est la raison pour laquelle il faut s’enlever de la tête l’idée que s’attaquer aux services publics, c’est seulement chercher à régler le problème des trains qui n’arrivent pas à l’heure. S’attaquer aux services publics, c’est plus gravement dresser des catégories sociales les unes contre les autres, comme si l’insécurisation des uns pouvait profiter en quoi que ce soit aux autres. C’est s’attaquer à une vision entière de la civilisation, dont la solidarité collective demeure le pilier. C’est s’en prendre à la racine même du lien entre les classes, qui fait que je paye des impôts afin que les enfants des concitoyens de la Seine-Saint-Denis bénéficient des mêmes professeurs que les miens, et puissent aller dans les mêmes universités, sans devoir honorer de crédit dissuasif. C’est aussi nier la légitimité de certains salariés, les fonctionnaires, à échapper au chantage à l’emploi, à cette peur taraudante par laquelle des millions d’hommes et de femmes sont maintenus dans l’obéissance sociale. Le service public n’est pas une revendication du passé, une vieillerie dont le nouveau monde des startupers ne saurait tolérer la survivance. Le service public est notre avenir solidaire, celui qu’il faudra même reconquérir sur un monde d’intérêts privés en train de détruire notre fierté d’être ensemble. 

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