Quoi de commun entre le quarantième anniversaire de l’élection de François Mitterrand et le déconfinement en cours, énième épisode d’un corps-à-corps avec une pandémie qui n’en finit pas ? La culture, hier placée au premier rang d’une politique, aujourd’hui reléguée en accessoire d’une société centrée sur l’économie. Il n’est pas anodin que Jack Lang ait été autant associé à l’exercice de mémoire autour de Mai 81. La première année flamboyante du mitterrandisme fut marquée par l’abolition de la peine de mort, mais aussi par le doublement du budget du ministère de la Culture et par le prix unique du livre. Et même après que les fourches de la rigueur se furent abattues en 1983, le tourbillon Lang continua de souffler : fêtes en tous genres (de la musique au cinéma), « Grands Travaux » pharaoniques, subventions renforcées pour des structures nouvelles, extension sans précédent du domaine de la création (rap, hip-hop, BD, danse contemporaine, graff).

Que reste-t-il des années Lang ? Vincent Martigny dresse le bilan d’une œuvre de refondation qui ne doit pas être réduite à un personnage souvent caricaturé en homo festivus. Ce qui a disparu, nous dit-il, c’est la dimension politique et symbolique de la culture, désormais gérée par les collectivités territoriales et les industries privées. Loup Wolff tord le cou à l’idée reçue selon laquelle le numérique cannibaliserait l’exercice de la culture vivante. Ce qui lui paraît saillant, c’est la perte d’influence des grandes institutions culturelles qui, à l’égal de l’école, peinent à jouer leur rôle d’entraînement auprès des jeunes générations. Louis Chevaillier, de son côté, analyse combien nos temps impatients et utilitaires rongent l’idéal ancien, le goût de se perdre dans une œuvre, d’y découvrir ce qu’on n’y cherchait pas.

À quarante ans d’écart, serait-on passé d’un président ami de Duras et de Sagan à un lointain successeur rivalisant d’anecdotes avec les youtubeurs McFly et Carlito ? L’image révèle plus l’époque qu’une différence de personnalité entre ces deux présidents lettrés. En réalité, si elle n’est plus l’apanage du Prince, la culture n’est pas pour autant sortie du champ politique. Des milliers de tiers-lieux tentent d’apparier la création et les enjeux sociaux et environnementaux. Dans des villes comme Lyon et Grenoble, ils font l’objet d’une réorientation des subventions qui déplaît aux tenants du triptyque classique (arts plastiques, théâtre, opéra). Quant au souverainisme culturel cher à Malraux et à Lang, n’est-il pas en train de réapparaître ? Le pass Culture de 300 euros récemment mis en place pour les jeunes de 18 ans exclut les GAFAN (Google, Amazon, Facebook, Apple, Netflix) du champ des dépenses. La culture n’a pas fini de déclencher des batailles d’Hernani, et c’est tant mieux. 

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