La promesse est solennelle : dans son allocution du 16 mars, à la veille du début du confinement, Emmanuel Macron annonce que « le jour d’après ne sera pas un retour au jour d’avant ». Aussitôt, tout ce que ce pays compte de chapelles a ouvert ses boîtes à idées, barbouillant l’avenir aux couleurs de l’utopie, jusqu’à réveiller le souvenir des Jours heureux. Mais six semaines plus tard, le jour d’après continue à se faire attendre, et avec lui les contours du monde qui vient.

Ce numéro du 1 n’a pas pour ambition de verser dans la futurologie, en anticipant des évolutions aujourd’hui difficiles à prévoir, mais plutôt de passer au révélateur de la crise une société en souffrance, que ce soit dans le domaine de la justice sociale, de la méthode démocratique ou de la prédation environnementale. Il s’agit, aussi, de s’interroger sur l’usage qui peut être fait du drame que nous traversons. Dans son essai Pour un catastrophisme éclairé, paru en 2002, le philosophe Jean-Pierre Dupuy rappelait cette leçon utile : « C’est parce que la catastrophe constitue un destin détestable dont nous devons dire que nous n’en voulons pas qu’il faut garder les yeux fixés sur elle, sans jamais la perdre de vue. » Avons-nous perdu de vue la nécessité de protéger notre santé, « quoi qu’il en coûte », pour avoir été autant surpris par la crise actuelle ? Peut-être. Nous en payons aujourd’hui le prix. Mais les sacrifices consentis ne vaudront que si nous apprenons à en tirer les conséquences, à reconnaître par exemple l’impasse écologique dans laquelle nous nous dirigeons. Comme l’explique Dominique Bourg dans l’entretien qu’il nous a accordé, « notre civilisation vient de recevoir un avertissement », une dernière répétition avant l’irruption de crises plus graves encore. On peut espérer un vaccin contre le Covid-19. Pareil miracle sera impossible face au réchauffement de la planète.

Tous l’ont-ils compris ? La récente étude menée par l’association Datacovid avec Ipsos atteste bien d’un renversement des attentes des Français, en faveur du soin, de la protection de l’environnement ou de la lutte contre le changement climatique. Mais le versement par Total, ce mois, de 1,8 milliard d’euros de dividendes à ses actionnaires, quelques jours avant un effondrement historique des cours du pétrole, laisse songeur. Tout autant que le plan de sauvetage de vingt milliards d’euros de grandes entreprises parmi les plus polluantes, sans réelle contrepartie écologique. Alors que l’économie s’apprête à redémarrer, plane aujourd’hui le spectre du business as usual, derrière quelques transformations de façade que n’aurait pas reniées le Tancredi du Guépard de Lampedusa et sa fameuse maxime : « Si nous voulons que tout reste tel quel, il faut que tout change. » Avec le risque que cette grande répétition ne finisse par tourner à la répétition des grandes erreurs… 

 

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