Il y a quelques mois, en avril dernier, Emmanuel Macron célébrait en grandes pompes, au Panthéon, le 170e anniversaire de l’abolition de l’esclavage. La France honorait Schœlcher et la fin d’un asservissement alors réservé aux colonies – sur le continent, celui-ci avait été aboli sous Louis X, dès 1315, un édit affirmant que « selon le droit de nature, chacun doit naître franc ». Mais l’abolition de droit ne signifie pas suppression de fait. Et alors que se tient, ce 18 octobre, la journée européenne contre la traite des êtres humains, viennent résonner des bruits de chaînes qu’on croyait engloutis par l’Histoire. Comme ces images de CNN tournées en Libye, il y a moins d’un an, montrant un véritable marché aux esclaves, des hommes vendus aux enchères comme du bétail.

Ces images, terribles, ne sont que la manifestation la plus spectaculaire d’un drame beaucoup plus vaste. Car l’esclavage moderne est une pieuvre qui tait son nom, ou le déguise sous d’autres appellations guère plus reluisantes : travail forcé, exploitation sexuelle, mariage servile, mendicité contrainte, servitude pour dettes… Autant de situations tragiques qui placent leurs victimes dans une situation de vulnérabilité extrême, où la misère le dispute au désespoir. Des femmes, pour la plupart, des enfants, mais aussi des hommes, corvéables à merci, privés de leurs droits et de leur dignité. Ils sont aujourd’hui plus de quarante millions dans le monde à souffrir d’une forme d’esclavage moderne, en Inde, en Chine, au Pakistan, en Afrique subsaharienne, mais aussi en Europe, à l’abri des regards et des volets clos. Rien qu’en France, ces nouveaux esclaves seraient près de 129 000 selon l’Organisation internationale du travail, un nombre effrayant et qui ne paraît pas près de décliner. Car la crise migratoire de ces dernières années n’a fait que précariser davantage ces populations, placées sous le joug d’organisations mafieuses qui ont bien compris les profits à tirer de la traite humaine. 

Ceux qui ne veulent pas le croire doivent lire ce numéro pour prendre la mesure du phénomène. Ou encore regarder le documentaire de Cash Investigation diffusé il y a quelques jours, et qui dévoile les sombres dessous du luxe à la française : des travailleurs sénégalais, contraints de travailler treize heures par jour dans des tanneries, au milieu des vapeurs chimiques, sous une température de 45 degrés, dans des conditions qu’on croyait d’un autre siècle. Alors la France peut bien annoncer la construction prochaine d’un mémorial, dans le jardin des Tuileries, pour rendre hommage aux victimes de l’esclavage, ce dernier n’est pas seulement une affaire de mémoire. C’est encore, hélas ! une (mauvaise) histoire, qu’il faudra bien se forcer, un jour, à regarder en face. 

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