Égalités, inégalités
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Les mathématiques doivent respecter les contraintes de la logique. Pour parler d’égalité, il faut se placer à l’intérieur d’un ensemble cohérent. Écrire x = Y lorsque x et Y ne sont pas des éléments d’un même ensemble peut mener à des paradoxes logiques, tel le paradoxe de Russell sur « l’ensemble de tous les ensembles ». Nous parlons donc de l’ensemble des êtres humains, dont les éléments sont les individus. Malheureusement, à l’intérieur d’un ensemble donné, l’égalité est très restrictive. L’énoncé x = y signifie en effet que x et y sont le même élément. Deux individus différents ne peuvent pas être égaux.
La théorie des inégalités est beaucoup plus riche. En mathématique, les inégalités, ou égalités au sens élargi qu’on nomme équivalences, apparaissent sous la forme de relations d’ordre, ou d’équivalence, que l’on se donne sur un ensemble. Notons x R y lorsque la relation R a lieu entre x et y. Un axiome crucial commun à ces relations est la transitivité : si x R y et y R z, alors x R z. On peut construire une telle relation sur un ensemble à l’aide d’une fonction numérique, assignant à chaque individu x un nombre f(x). On dira alors que x R y si f(x) ≥ f(y). Notre époque est férue de ce genre de fonctions, qu’on appelle des « indicateurs numériques » ou des « facteurs d’impact ». Il va de soi que la notion d’inégalité repose lourdement sur le choix de la fonction f. Sur l’ensemble des individus, une telle fonction pourra être f = (p2/a)1+E où p est le poids, a l’âge, et E le nombre d’enfants. La question de la pertinence d’un tel indicateur pour classer les individus n’est pas que sociologique (est-il bien fondé de prendre en compte telle ou telle donnée personnelle ?) ; son aspect mathématique réside dans le comportement de la fonction f en les variables p, a, E – par exemple, lorsque l’une d’elles « tend vers l’infini », c’est-à-dire devient prépondérante.
Une relation R satisfaisant la transitivité et la réflexivité (« x R x pour tout x ») est une relation d’ordre si elle satisfait la propriété que si x R y et y R x, alors x = y. On écrit alors x R y sous la forme x ≥ y (x est supérieur ou égal à y). La structure qu’on obtient ressemble à une hiérarchie. Pour chaque x, on a l’ensemble des éléments qui sont supérieurs à x, mais les éléments de cet ensemble ne sont pas nécessairement comparables. L’individu x peut avoir deux « supérieurs » y et z, qui ne sont pas comparables entre eux. Tout ce qu’on sait par transitivité est que si x a un supérieur y (y ≥ x) et un inférieur z (x ≥ z) alors le supérieur de x est supérieur à l’inférieur de x (y ≥ z).
Une notion plus faible que l’égalité est la notion de relation d’équivalence. Les axiomes de la relation d’équivalence sont la réflexivité, la transitivité, et la symétrie qui dit que si x R y, alors y R x. Une relation d’équivalence permet de regrouper les individus en familles, appelées « classes d’équivalence », composées d’éléments qui sont tous en relation entre eux et maximales pour cette propriété. Un élément d’une telle classe n’est donc pas en relation avec un élément d’une autre classe. On a affaire, dans ce cas, non plus à une hiérarchie, mais à un système de castes.
Et si, au lieu d’ensembles, on pensait plutôt en termes de catégories ? Une catégorie est la donnée d’un ensemble d’objets, nos individus, et, pour chaque paire d’objets x et y, d’un ensemble de flèches de x vers y qu’on appelle les morphismes. Chaque x admet une flèche fondamentale de x vers x qu’on appelle « l’identité de x », ce qui est de bon augure si on envisage de transposer cette idée dans le champ sociologique. On dispose de la notion d’isomorphisme entre x et y. Dans une catégorie, les individus peuvent être isomorphes tout en étant différents, et il existe des catégories intéressantes dont tous les objets sont isomorphes.
Pour conclure, les relations d’ordre et d’équivalence sur une société vue comme un ensemble d’individus, correspondant respectivement aux notions de hiérarchie et de système de castes, fournissent une riche théorie des inégalités. Mais si on voit une société non comme un ensemble mais comme une « catégorie », où l’on prend en compte non seulement les individus mais aussi leurs interactions, on peut commencer à avoir une riche notion d’égalité (isomorphisme), reposant sur le caractère bilatéral des interactions.
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