L’agglomération d’Angoulême travaille depuis 2015 à rendre son système alimentaire plus adaptable. Cette expérience, conduite avec l’association Les Greniers d’abondance et des chercheurs lyonnais, a été racontée dans un livre, Vers la résilience alimentaire (éditions Yves Michel, 2020). Et a inspiré cette fable à Hélène Seingier, membre du comité éditorial du 1 en charge des questions environnementales.

 

Il était une fois une localité nommée GrandAngoulême qui ne savait comment se nourrir de ses propres terres : toute récolte s’exportait, toute nourriture provenait d’autres contrées. Cette fable raconte comment la région s’est mise à changer sous l’impulsion d’un édile et d’un criquet, son conseiller.

Avant même que le criquet n’arrive, l’édile avait fort réfléchi : la région regorge de terres grasses et fertiles, que n’alimentent-elles le pays ? Même pour nourrir les écoliers il faut importer pitance ! Afin que tout commence, il dessina la situation : d’une part, les cantines exigeant fortes productions. De l’autre, petits maraîchers, aux récoltes uniformes. « Créons association pour nous coordonner, proposa une cultivatrice. Nous fournirons en quantité et diversité un bien meilleur service ! » Cantinières et cantiniers, par ailleurs, furent dûment informés : les primeurs, même dépareillés, ont toutes leurs vertus – surtout s’ils sont du cru. C’est ainsi qu’un pas fut fait, et les discussions continuèrent.

« Tout est question de recul. Prenons de la hauteur ! » 

Des files de camions sillonnaient toujours la région. Apportant qui des engrais, qui des biftecks, emportant des céréales en abondance. « À quoi bon ces kilomètres parcourus en tous sens ? Quel diable nous interdit de semer ce dont on se nourrit ? » L’édile fit appeler un criquet de sa connaissance, insecte avisé et de grande clairvoyance. Il proposa un dialogue avec les aspirants fermières et fermiers. « S’établir est bien compliqué, dirent-ils, la terre est comme confisquée. » La loi locale fut aussitôt changée : plus aucun champ sous le béton ne disparaîtrait. Bien commun s’il en est, priorité à l’alimentation. L’élu fit aussi mander propriétaires fonciers et bureaucrates agraires, enseignants agricoles et techniciens auxiliaires. « Il en va de notre avenir : ces jeunes doivent obtenir terres et savoir-faire ! » Des obstacles s’aplanirent, et les discussions continuèrent.

« Pour faire des plans, dit le criquet, tout est question de recul. Prenons de la hauteur ! » Par quelque sort de l’orthoptère, voici l’élu dans les airs. Il surplombe routes et coteaux, rivières et bassins d’eau. « Que pensez-vous de ces étendues liquides ? demanda l’insecte.

– Elles me font bien des misères. L’été venu, tous se les disputent. Les agriculteurs, les usines, les particuliers pour leurs piscines…

– C’est donc, cher ami, que cet or bleu se dilapide. On le répand aussi sur le maïs, qui du Grand Ouest alimente poules et cochons, et demande forte irrigation. 

– Je vois, songea l’édile. Si l’on plantait autre chose, les querelles seraient apaisées. Nous nous concerterons avec les intéressés. »

« Le climat change, savez-vous ? Bientôt la sécheresse sera partout »

L’édile se prit à rêver. Et si, au lieu du maïs, les fermiers optaient pour lentilles et pois chiches ? Voilà nourritures riches et qui d’eau ne sont point gourmandes. Le criquet, qui lisait l’avenir, y vit heureuse inspiration : « Le climat change, savez-vous ? Bientôt la sécheresse sera partout. » Grand Dieu ! songea l’édile. Les vignes de cognac n’y survivraient pas… Son rêve continua : au lieu de s’entêter, les agriculteurs s’adaptaient à ce qu’ils ne pouvaient changer. « Semons blé dur et tournesol, sorgho et millet, suggéraient-ils. Nous en ferons des pâtes, des farines et des huiles ! »

Le criquet à l’édile fit aussi confidence qu’avec chaque changement venait bénéfique conséquence. Lentilles et pois chiches n’alimentent pas que les hommes : ils transforment l’azote de l’air en nourriture de sol. Plus ne serait besoin d’engrais chimique, ni des camions qui le transportent, ni de l’or noir qui le fabrique !

En associant les commerçants naquit une idée alléchante : créer un grand marché, le Rungis des Charentes ! S’y échangerait sans intermédiaire ce qui jusque-là arrivait du bout de la terre.

Réfléchissant, petit à petit, la ville s’approvisionna bien mieux en son arrière-pays. Deux événements survinrent, qui montrèrent que c’était sagesse. D’abord une vaste épidémie, qui manqua de stopper tout commerce. Trois jours seulement séparaient les Parisiens de la disette d’antan. Quel paradoxe : autour de la capitale s’étend un bassin limoneux, aux rendements des plus généreux !

Peu après, dans un pays voisin, chars et canons se remirent à faire feu. Autrefois, ses terres noires, bons et grands champs fertiles, fournissaient le monde en blé, pommes de terre et huile. Las, les pénuries refirent surface, les prix se mirent à flamber. « N’avions-nous point raison ? murmura le criquet. Tout est dans tout, chaque chose est liée. Charge à nous de choisir quels liens entretenir ! »

De toutes ces péripéties, l’édile et l’insecte tirèrent un écrit. Il inspira Lyon, Bordeaux, Rennes, jusqu’à Paris. Sa conclusion dit à peu près ceci : « Concertation, constance et belle hauteur de vue, voilà secrets d’un plan fort sagement conçu. » 

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