Il est souvent difficile aux personnes souffrant de dépression de décrire leur paysage intérieur tourmenté. Comment faire comprendre, à celui qui ne la connaît pas, cette fatigue de l’âme, cette sombre impuissance, cette extinction du désir ? Comment expliquer qu’il ne s’agit pas d’un simple coup de blues, d’une déprime passagère, d’un accès de tristesse ? Dans La Cloche de détresse, son unique roman, paru un mois avant son suicide et tout juste réédité soixante ans après, la poétesse américaine Sylvia Plath évoque à mots choisis cette forme d’enfermement dont il est délicat de s’extraire : « Pour celui qui se trouve sous la cloche de verre, vide et figé comme un bébé mort, le monde lui-même n’est qu’un mauvais rêve. »

Ce cauchemar intime, près d’un Français sur cinq dit en avoir fait l’expérience l’an passé

Ce cauchemar intime, près d’un Français sur cinq dit en avoir fait l’expérience l’an passé, selon une étude menée par Santé publique France, un chiffre qui a presque doublé depuis les années 2010. Plus inquiétant encore : 10 % de la population admet avoir eu des pensées suicidaires au cours de l’année. Bien sûr, l’épidémie de Covid-19 est passée par là, avec son lot de deuils brutaux, d’isolements forcés et d’angoisses répétées. Le virus a beau s’effacer peu à peu de notre quotidien, il n’en a pas moins laissé des coups de couteau dans l’âme de nombre de nos concitoyens. Dans une longue et saisissante enquête, Manon Paulic revient dans ce numéro du 1 sur ces blessures psychologiques encore fortes au sein d’une partie de la jeunesse française, particulièrement touchée par cette « autre pandémie », et dont la santé mentale a de quoi alarmer. D’autant que les motifs d’anxiété ne se limitent pas, aujourd’hui, aux questions sanitaires, mais renvoient également aux craintes pour l’avenir, à la précarité, ou à la simple difficulté de vivre, dans une société qui fait du bonheur une injonction.

Comment venir alors en aide à ces millions de Français qui connaissent des états dépressifs plus ou moins prolongés ? D’abord en reconnaissant leur maladie pour ce qu’elle est, une souffrance psychique qui n’est ni une faiblesse ni une fatalité. Récemment, plusieurs personnalités publiques, issues du milieu du spectacle ou du sport, ont admis avoir elles-mêmes connu « ces pensées qui nous font vivre un enfer », comme l’a chanté Stromae. Leur exemple peut permettre de mieux saisir la réalité de ce mal du siècle, qui touche plus fortement les catégories populaires, les femmes et les personnes âgées. Ensuite en offrant des traitements adaptés aux maux de chacun, par le biais des nombreuses thérapies aujourd’hui disponibles ou de médicaments. S’ils ne font pas office de remèdes miracles face à ces troubles complexes et multiformes, du moins viennent-ils rappeler que nul n’est condamné aux idées noires. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !