Emily Dickinson n’a presque rien publié de son vivant. On garde d’elle le mythe d’une dame de bonne famille, toujours vêtue de blanc, vivant recluse dans sa chambre. Elle y écrivait des poèmes hachés et mystérieux, remplis de peurs et de ravissements. Comme est impénétrable l’énigme de la mélancolie !  

Ce n’était pas la Mort, car j’étais debout,
Et tous les Morts, sont allongés –
Ce n’était pas la Nuit, car toutes les Cloches
Tiraient la Langue, pour sonner Midi.
 
Ce n’était pas le Gel, car sur ma Chair
Les Siroccos – rampaient –
Ni le Feu – car mes pieds de marbre à eux seuls
Auraient pu rafraîchir le Chœur d’une Cathédrale –
 
Et pourtant, ça avait le goût de tout ça,
Les Silhouettes que j’ai vues
Bien alignées, prêtes pour l’Enterrement,
Me faisaient penser, à la mienne –

Comme si ma vie était rasée,
Et ajustée dans un cadre,
Que je ne pouvais respirer sans une clé,
Et que c’était, un peu, comme Minuit –

Quand tout ce qui fait tic tac – s’est arrêté –
Et que l’espace dévisage – les alentours –
Ou que les gelées Effroyables – les premiers matins d’Automne,
Révoquent la Terre Palpitante –
 
Mais, surtout, comme le Chaos – sans Fin – glacé –
Sans un Espoir, sans un espar –
Ou même une Rumeur que la Terre est proche –
Pour justifier – le Désespoir.

Poésies complètes, traduction de Françoise Delphy
© Flammarion, 2009

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