Lors de leur première projection publique payante, en décembre 1895, les frères Lumière présentaient, parmi une dizaine de courtes séquences, une Baignade en mer montrant des enfants plongeant et replongeant d’un ponton dans la Méditerranée. 

À peine né, le cinéma se jetait à l’eau. 

L’année suivante, les inventeurs du cinéma filmaient Le Déchargement d’un navire et Le Port de la Joliette, tandis que Méliès embarquait sa caméra pour un Panorama du Havre et un Panorama du port de la Rochelle filmés depuis la mer.

Le cinéma et la mer ne pouvaient que naviguer de concert : ils procèdent du même mouvement. Les Anglais feront movie (le film) du kinêma grec (le mouvement). Regarder un film, c’est s’y plonger, et découvrir la mer « sans cesse recommencée ». Celle qu’on voit danser le long des golfes clairs, qui habite les écrans en robe d’écume ou en lamé bleu et qui tour à tour se montre charmeuse, inquiétante, délicieuse, démesurée, placide, violente, secrète, insaisissable… La mer fait son cinéma et la séance est permanente. 

Au contraire de la terre cultivée en carrés, bouleversée par l’homme, étouffée dans les villes, maltraitée, méconnaissable souvent, l’océan, réel ou en studio, demeure inentamé, immuable. L’Atlantique en furie, aux environs de Terre-Neuve, sur lequel Pierre Schoendoerffer tourne en 1977 Le Crabe-Tambour est le même sur lequel, quarante ans plus tôt, le père Yvon (aumônier des terre-neuvas) filmait le rude travail des pêcheurs de morue. Le travail, lui, a radicalement changé. En quittant le ciré pour la charlotte et le tablier des salariés de l’agroalimentaire, les marins employés sur un bateau-usine, sont devenus de véritables OS de l’océan, comme en témoigne Seuls, ensemble, de David Kremer (2015).

La mer est bonne mère. Sur l’écran, elle laisse volontiers ses films jouer aux effets spéciaux pour nous faire chavirer d’émotion et de peur sans risque de nous tremper jusqu’aux os. Le chalutier de George Clooney pris En pleine tempêteescalade des montagnes d’eau salée 100 % numériques ; All Is Lost de J.C. Chandor, quintessence du film de mer (au cours de la première scène, le voilier de Robert Redford se fait éventrer par un conteneur égaré et chinois, bien sûr), a été tourné dans les mêmes studios mexicains que l’indépassable Titanic de James Cameron ; la palme du genre revient au film E la nave va, de Fellini, où la mer est figurée par une toile plastique ondulante. 

Les films de mer sont aussi ceux qui sondent notre peur du noir et des grands fonds marins peuplés d’hostiles créatures prêtes à nous dévorer. Le calamar géant de 20 000 lieues sous les mers a, en son temps, terrorisé bien des enfants, comme plus tard le requin monstrueux des Dents de la mer et tous ses avatars de série Z, les requins volants ou les requins à deux têtes et autres créatures de la mer hantée.

En surface, cap au large, les films de mer naviguent sur l’actualité. À côté de Moussa Touré (La Pirogue, 2012) ou d’Emanuele Crialese (Terraferma, 2011), de nombreux réalisateurs mettent en scène ou filment sur un mode documentaire les migrants qui dans l’Atlantique, la Méditerranée ou la mer de Chine (Sea Fog, les clandestins de Shim Sung-Bo, 2015), risquent leurs vies sur de mortelles embarcations. Et puisque l’avenir des humains se jouera largement sur, sous et avec les océans, parions que nous n’avons pas fini d’essuyer des tempêtes dans les salles obscures ! 

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