Bercé par un léger roulis, le navire oscille comme un pendule. Cette nuit, la lune est pleine et se reflète sur une mer calme. Dans l’obscurité de la timonerie, seuls se distinguent les visages des gardes-côtes, éclairés par la lumière blafarde de leurs écrans de surveillance. Ils ont les traits tirés. Depuis des semaines, ils vivent au rythme des quarts et des tempêtes. Cet équipage roumain, déployé par l’Union européenne, vient en aide aux autorités italiennes débordées par la crise migratoire. Ils surveillent, nuit et jour, les frontières maritimes du pays et au-delà, traquant passeurs et trafiquants. Leur mission : combattre l’immigration illégale.

Une voix grésillante vient rompre le silence et la tranquillité de la nuit. C’est le centre de coordination international, basé sur le continent. Il transmet ses ordres par radio. Un bateau situé dans la zone « M1 » ne répond pas à ses appels répétés. Le capitaine roumain doit envoyer des hommes s’assurer que l’embarcation signalée est bien en règle. Il confie cette tâche à Marius, l’officier de pont, et désigne au sein de l’équipage deux hommes pour l’accompagner.

À bord du zodiac, l’air frais surprend les trois gardes-côtes. L’officier remonte le col de son blouson et enfonce un peu plus son bonnet bleu marine. Le bateau est couvert d’une fine couche de poussière ocre : le sable du Sahara. Il a parcouru des centaines de kilomètres, porté par la force du vent. Au milieu de cet immense désert bleu noir, il est difficile de penser que l’Afrique n’est qu’à quelques dizaines de milles marins. 

L’embarcation suspecte apparaît de plus en plus clairement. C’est un vieux bateau de pêche égyptien, de ceux que les passeurs avaient l’habitude d’utiliser pour la traite humaine à l’époque de Mouammar Kadhafi. Depuis, le trafic s’est développé et les bateaux pneumatiques les ont remplacés, mais il se pourrait que certains transportent encore dans leurs cales des migrants africains tentant de rejoindre l’Europe. Un cas banal pour ces gardes-frontières qui, depuis trois mois, contrôlent en moyenne quatre à six bateaux par jour dans le cadre de l’opération Triton.

À bord, des guirlandes lumineuses suspendues en travers du pont font concurrence aux étoiles. Quatre hommes se tiennent debout contre la rambarde, droits comme des piquets. Ils fixent leurs visiteurs du regard mais le puissant faisceau du projecteur les force à plisser les yeux. « Votre radio ! » leur crie Marius, en essayant de couvrir le bruit du moteur. Les Égyptiens ne semblent pas comprendre. « Répondez à votre radio ! Quel est le nom de votre capitaine ? » insiste-t-il. Mais aucun des quatre hommes ne parle anglais. La discussion n’ira pas plus loin. 

Le faisceau balaye la coque turquoise rouillée et s’arrête sur une inscription en arabe : le nom de l’embarcation. Les gardes-côtes prennent une série de clichés et transmettent leur rapport par radio au capitaine resté sur le navire. Les informations collectées rejoindront une base de données européenne centralisée à Varsovie. Parfois, elles permettent d’arrêter un passeur, et plus rarement de démanteler un réseau. « Un vrai travail de fourmi », selon les gardes-côtes. 

Ils ne monteront pas à bord pour un contrôle plus approfondi. Ils sont certains qu’il s’agit bien d’un bateau de pêche, il empeste le poisson. Les mouettes confirment que les filets sont à l’eau : à la poupe du bateau, elles volent par centaines, s’agitant en tous sens au ras de la mer. Elles ont l’air de danser et de se battre à la fois. 

Un contrôle de plus, vain. Ils sont pourtant de plus en plus nombreux, hommes, femmes et enfants, à tenter la traversée. Combien sont-ils à avoir lutté contre les flots avant de céder ? Combien de corps ont sombré et reposent dans les profondeurs du cimetière de l’Europe ? Loin des côtes siciliennes, françaises ou espagnoles, la Méditerranée ne fait plus rêver. 

Vous avez aimé ? Partagez-le !