Tara a repris la mer le 28 mai à Lorient. Cette nouvelle expédition doit durer deux ans. Pour la goélette française, aussi célèbre que la Calypso du commandant Cousteau en son temps, il s’agit de dresser un état des lieux de la biodiversité des récifs coralliens en Asie-Pacifique. Quelques jours avant l’appareillage, le 19 mai, l’importance de l’enjeu était confirmée par une étude de la revue Estuarine, Coastal and Shelf Science : la Grande Barrière de corail australienne, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, est touchée à 93 % par le dépérissement. En Nouvelle-Calédonie, c’est à 70 % que le corail a blanchi, en quelques semaines. La cause en est le phénomène El Niño, expliquait Romain Troublé, secrétaire général de Tara Expéditions, à la veille du départ : il suffit que la température de l’eau du Pacifique monte à 30 ou 31 °C et reste un peu trop longtemps à ce niveau pour que s’effectue un « divorce » entre le corail et l’algue qui lui donne sa couleur. L’algue abandonne son support, qui meurt très rapidement, entraînant le déclin de tout l’écosystème corallien. La nature ébauche ainsi ce qui se produira si le réchauffement climatique induit par les activités humaines se poursuit au même rythme.

Pendant que la goélette grise et orange cingle vers sa mission, les laboratoires de biologie marine du monde entier ont de quoi travailler sur les résultats d’une précédente expédition, Tara Oceans. Entre septembre 2009 et décembre 2013, quelque 35 000 échantillons ont été collectés, soit la plus vaste étude du plancton jamais menée. Elle a d’ailleurs valu à Éric Karsenti, directeur de Tara Oceans, la médaille d’or du CNRS. Le 22 mai 2015, la revue Science en a fait sa couverture sous le titre « A world of plankton », avec cinq articles détaillant les résultats. Premier constat, des milliers d’espèces inconnues ont été identifiées. Au niveau microbien – virus et bactéries – 40 millions de gènes ont été séquencés, la plupart inconnus jusqu’ici. La diversité des eucaryotes planctoniques, micro-organismes dont l’ADN est contenu dans le noyau, s’est aussi révélée beaucoup plus importante que prévu : 150 000 types ont été répertoriés, ce qui pourrait renvoyer à plus d’un million d’espèces alors que 11 000 seulement avaient été décrites auparavant. 

Phytoplancton (plantes), zooplancton (animaux), bactérioplancton sont désormais très largement identifiés, même les plus infimes nanoplancton et picoplancton. Comment le sait-on ? Parce que chaque nouvel échantillon étudié apportait de moins en moins de gènes nouveaux, d’où l’on peut conclure que Tara Oceans a effectivement récolté la presque totalité des espèces planctoniques qui peuplent les couches supérieures des océans.

Les chercheurs ont mis en évidence les interactions entre les différentes espèces de planctons. Ils ont découvert que la modalité d’interaction la plus répandue est le parasitisme, loin devant la prédation, la symbiose ou la compétition. La pression et la salinité de l’eau ont une importance moins grande que prévu sur l’organisation des espèces, tandis que la température est déterminante. Encore un enjeu de la lutte contre le réchauffement climatique. Le Journal Tara Expéditions (2015-2016) qui livre toutes ces informations souligne fièrement que « les dizaines de millions de gènes séquencés issus de Tara Oceans sont d’ores et déjà en ligne, représentant 80 % de l’ensemble des gènes marins déposés en banques de données mises à la disposition des scientifiques du monde entier ».Les profanes, eux, peuvent s’amuser des incroyables formes des planctons grossis quelques milliers de fois, une collection d’aliens plus ou moins sympathiques. 

 

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