Il y a quelques années, une sportive allemande qui s’entraînait en Australie pour les championnats du monde de parapente, fut aspirée au cours d’un violent orage à l’intérieur d’un cumulonimbus qui l’emporta à près de 10 000 mètres d’altitude, au bord de la stratosphère, là où seuls les avions se déplacent, là où il n’y a plus d’air, plus rien à respirer. Frappée par les éclairs et les grêlons, saisie par le froid intense, la jeune femme perdit connaissance et son corps entra en hibernation, ce qui lui sauva la vie, car alors elle ne consommait presque plus d’oxygène. Elle dériva dans un ciel de tempête et son parapente continua de la porter pendant trois quarts d’heure, jusqu’à se mettre en torche sous l’effet de la glace ; elle chuta, reprit connaissance à 6 000 mètres d’altitude lorsque son parapente se rouvrit miraculeusement et, après une descente en spirale qu’elle négocia magistralement malgré l’hypothermie et l’épuisement, se posa dans un champ, à 60 kilomètres de son point de départ. Elle en fut quitte pour quelques gelures et ecchymoses. L’année suivante, elle décrochait le titre de numéro un mondiale.

Les Grecs (ah ! ces Grecs ! que ferait-on sans eux ?) appelaient éther la couche élevée de l’atmosphère, séjour des dieux qu’ils distinguaient de l’air impur que nous respirons, chargé de vapeur d’eau et de particules diverses, dans lequel nous nous mouvons, pauvres créatures mortelles… Mais de l’atmosphère, ils ignoraient à peu près tout. Seul Anaximène (philosophe du Ve siècle avant notre ère) tenta de théoriser sur la nature de l’air, qu’il considérait comme la substance première d’où dérivait toute matière, par condensation ou raréfaction. Il imaginait une Terre plate et portée par un air infini. Aristote lui-même n’avait pas la moindre idée qu’il pût exister une atmosphère. Sénèque le premier eut l’intuition d’un air en couche limitée, véhiculant le son et la lumière.

Par la suite, tous les grands noms de la physique s’y sont collés, cheminant lentement vers la connaissance : Galilée, Huygens, Torricelli, Pascal, Descartes, Newton. Ce n’est qu’en 1677 que l’Anglais Robert Boyle perçut la possibilité que l’air contienne « plusieurs gaz ». Il faudra attendre encore un siècle avant que Lavoisier ne précise la composition de l’air : un cinquième de dioxygène et quatre cinquièmes de diazote ! On ne découvrira qu’à la toute fin du XIXe siècle l’existence des gaz rares, hélium, néon, argon, krypton et xénon (des Grecs ! encore…), présents en proportions infimes dans l’air. 

Chacun de nous connaît, hélas, aujourd’hui ce manteau orangé qui parfois recouvre les grandes métropoles, cette luminescence feutrée qui auréole Paris certains soirs d’été, ce sombre chapeau qui forme une cloche au-dessus des agglomérations. C’est une vaste nuée qui se défie des frontières et se déplace autour de la Terre, portant les particules polluantes jusqu’aux pôles inhabités. Les experts qui surveillent la qualité de l’air de Paris assurent que le pire est derrière nous et que nous polluerons moins demain. 

On voudrait les croire, car l’air, le « bon air » cher à nos médecins d’antan, c’est l’élément de la liberté, de la spiritualité, de l’envol, du souffle, ce qui nous rend plus esprit que matière, plus lumière qu’ombre, plus larges qu’étroits, plus clairs que confus. Si l’on vous demande lequel des quatre éléments vous associez le plus à la vie, vous répondrez sans doute l’eau. L’air, pour être intimement lié à la vie, n’en est qu’un symbole secondaire. Il exprime bien davantage une forme de volatilité, de légèreté, mais aussi d’évasion, d’expansion de notre condition humaine, une « aspiration » céleste. Il est la transition entre la Terre et l’Univers ; il nous élève et nous gonfle, nous tire vers le haut. Il nous offre cette part de divinité qu’Athéna insuffla dans la figurine de terre, à l’origine, en envoyant à travers une mince tige de roseau une parcelle de son souffle cosmique dans les poumons du premier homme façonné par Prométhée, de même que le fit l’Éternel de la Genèse, soufflant son neshama dans les narines de l’être humain primordial. 

L’air c’est aussi le parfum d’un lieu, chargé de souvenirs, celui qui nous remplit d’émotion et entre en nous à notre insu, éveillant dans notre mémoire les souvenirs enfouis liés à tel jardin fleuri, telle maison où l’on entrait enfant, dans la fraîcheur du hall plongé dans la pénombre, tel rivage balayé par le vent iodé, telle rue où l’échoppe d’un pâtissier laissait s’échapper des volutes de vanille, telle prairie à l’herbe fraîchement coupée. L’air c’est aussi la musique, la parole, le Verbe, comme le rappelle Vâyu, le dieu du vent des hindouistes, voyageant invisible sur une gazelle et brandissant une oriflamme : à la fois vent et souffle vital, dedans et dehors, il est ce qui nous traverse et nous relie au grand principe aérien universel. Est-ce lui qui a écarté d’un souffle le monstre-nuage, se portant au secours de la jeune parapentiste pour lui permettre de rejoindre la terre ? Ou sont-ce les anges, qu’elle n’a cessé d’implorer à mesure qu’elle s’élevait dans les airs, à une vitesse folle, vers les hauteurs ultimes du ciel ? 

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