J’avais 16 ans et un goût aigu de la liberté. Une aspiration que la ville de La Rochelle comblait alors à merveille. Le maire écolo-radical Michel Crépeau avait décrété rien moins qu’une « vélorution ». Une centaine de petits vélos jaunes avaient été mis en service dans le centre-ville. On pouvait les enfourcher à sa guise à travers les rues de la vieille cité huguenote sur un périmètre appréciable. Et les laisser où bon nous semblait, contre un mur, un arbre, ou en équilibre au bord d’un trottoir. L’usage, illimité, était gratuit et dénué de toute contrainte. Il n’était nul besoin de décliner son identité, de laisser une adresse ou une caution. La liberté, on vous dit. C’est ainsi que de chez moi au lycée, du lycée à la plage, pendant l’automne 1976, je vécus cette parenthèse enchantée de la bicyclette en libre-service, sans attache ni antivol. Au bout de quelques mois hélas, il fallut se rendre à l’évidence. Les vélos disparaissaient à vue d’œil – les touristes anglais ou allemands les embarquaient dans leurs coffres de voiture en guise de souvenirs. Les rescapés de ce hold-up étaient en piteux état, freins et selle arrachés, quand ne manquait pas une roue, sinon les deux… Le rêve ne dura pas plus d’une saison. 

Un demi-siècle plus tard, l’utopie s’est accomplie. L’idée du vélo partagé a fait son chemin dans de nombreuses villes de France et d’Europe, même si le Vélib’ parisien connaît de gros couacs. Mais surtout, la bicyclette est entrée dans un nouvel âge d’or qui ne semble pas près de se démentir. Avec ou sans assistance électrique, modèle pistard du fixie ou familial du vélo cargo – un grand bac avant chargé d’enfants ou de légumes du marché –, la bécane est tendance. Plus bobo que prolo, elle s’approprie l’espace urbain à grande, parfois trop grande vitesse, effrayant les piétons, coupant la route aux autos, se jouant des feux rouges et autres panneaux signalétiques. Cette revanche du deux-roues ne doit pas tromper : si une certaine anarchie règne sur le bitume, si les voies partagées avec les bus et les taxis restent dangereuses pour les cyclistes, ces derniers ont l’avenir devant eux. Plus le trafic automobile se réduit, plus le vélo gagne, comme nous l’explique l’économiste Frédéric Héran. Et toutes les études l’attestent : pédaler est un gage de plus longue vie en bonne santé. Alors pourquoi se priver ? À condition de porter un casque, d’avoir de bons freins, de veiller aux portières qui s’ouvrent à l’improviste, et aussi de respecter son prochain, la petite reine fera de vous le roi du macadam. 

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