La nouvelle ère du vélo

J’ai connu les temps héroïques où il fallait batailler pour exister à vélo. En ville, rien n’était prévu pour les deux-roues non motorisés. C’était un univers résolument hostile au cycliste. Je le dis sans forfanterie excessive, il fallait un certain courage pour choisir le vélo et se lancer sur une chaussée sillonnée de bolides en tous genres, voitures folles comme motards hallucinés. Sans oublier ces monstres entre lesquels il nous arrivait, nous les vélophiles présomptueux, de circuler comme au fond d’un canyon : les autobus et les camions-poubelles.

Les chauffeurs de ces différents véhicules ne manquaient jamais de souligner l’incongruité d’une présence cycliste face à eux d’un klaxon rageur assorti d’une bordée d’injures. Qu’est-ce qu’on foutait là ? À les en croire, nous les mettions en danger. Ajoutez à cela que nos itinéraires étaient extrêmement erratiques, aucune solution claire ne s’offrant parfois devant nous dans ce dédale de carrefours et de feux rouges. Bref, cherchez l’intrus.

Darwinisme oblige, nous avons dû muter pour survivre. Et les fragiles cyclistes sont devenus des guerriers. Il a fallu nous endurcir au contact de la tôle, reconquérir le pavé en le disputant pied à pied (roue à roue) à l’hégémonie automobile, franchir les feux au rouge, remonter les sens interdits, enjamber les trottoirs et les terre-pleins. En un mot, créer notre propre cartographie, puisque personne ne l’avait pensée pour nous. Ce faisant nous étions des pionniers inlassables, inventant chaque jour un mode de déplacement inédit, qui deviendrait un mode de vie tout court. Enfourcher le vélo le matin était une proclamation, un plaidoyer, l’acte de foi dans un monde meilleur.

Et puis le monde meilleur est advenu. On a déroulé sous nos roues des pistes cyclables bituminées, bordées de plantations, comme des cordons sanitaires. De touchantes silhouettes blanches peintes au sol ont signalisé notre territoire, nos zones franches. On a poussé la délicatesse jusqu’à ajouter sous les panneaux de sens interdit : « sauf vélos ». Des Vélib’, Vélo’v, Vélam, Vélhop ont éclos partout, ouvrant les vannes d’une population cycliste néophyte. Les parias du XXe siècle sont devenus les visionnaires du XXIe. Nous avions gagné.

Mais le combat, jamais terminé (vont-ils rouvrir les quais de Seine aux voitures ?), se poursuit sous une autre forme, plus subtile. Car désormais, et c’est mon sentiment, les rebelles que nous fûmes doivent rentrer dans le rang, où tout va se jouer. Fini le temps où nous arpentions l’asphalte comme des chevaux camarguais. Certes il était glorieux d’être en marge, dissidents véliportés bravant les interdits, repoussant les limites, défiant un ordre établi par et pour l’automobile. À présent que les valeurs sont en voie de s’inverser, il va falloir entrer en humilité. Rester dans les clous de notre nouvel espace, partager le sol de la planète avec les autres moyens de déplacement subsistants, respecter nos amis les piétons. Cesser la fanfaronnade libertaire à tout va et pratiquer la citoyenneté modèle. En clair : ne donner aucun argument aux ennemis du vélo, toujours en embuscade. 

C’est le prix de la victoire, bien plus élevé pour nous qui avons grandi dans la culture de l’insoumission. Soyons désormais les emblèmes de l’esprit cycliste, représentants de commerce en tolérance, bateleurs de la non-violence, VRP d’un certain art de vivre la ville ensemble. Donnons de la sonnette avec un large sourire, cédons le passage d’un moulinet de chapeau… Derrière notre allure inoffensive et bonasse, le pionnier d’un monde nouveau sera toujours là, bien plus redoutable.

L’univers parallèle du cycliste

Inutile de souhaiter un autre monde, d’imaginer vivre une autre vie. Monter sur un vélo suffit. Le vœu se réalise. Une simple bicyclette ouvre un espace-temps insoupçonné. Nous voilà en apesanteur, et la ville défile autour comme un décor de film. Nous ne sommes plus dans le point de vue statique du piéton, ni dans celui cloîtré et paranoïaque de l’automobiliste. Une brèche s’est ouverte dans cet environnement qu’on pensait trop bien connaître. Ce n’est plus la même ville. Et parallèlement le temps s’est dilaté. Ça y est : le vélo a réenchanté la cité. 

Aucune magie là-dedans pourtant, ni phénomène surnaturel. C’est la combinaison de plusieurs facteurs qu’on peut même examiner de manière quasi scientifique. Il y a d’abord le déclenchement bien connu des endorphines à la suite de l’effort, qui crée une douce euphorie. J’y ajouterais le mouvement alternatif du pédalage qui, comme le pendule, induit un léger état hypnotique et apaisant. L’activité mentale baisse progressivement et se réfugie dans les informations fournies par les sens (à vélo, aucun sens interdit) : la douceur de l’air caressant la peau, le mélange d’odeurs captées au passage dans les quartiers traversés, la bande-son de la ville et le flottement du regard qui recompose la fluidité du monde. Ni plus ni moins.

Néanmoins, l’expérience ne fonctionne pas forcément. Le maître mot est bien « flottement ». C’est exactement l’état que doit contracter le cycliste pour basculer dans la dimension parallèle. Faute de quoi, parasité par les pensées bourdonnantes comme des mouches ou les spéculations sur sa sécurité, le cycliste rétif passera à côté, restera cloué au sol et moquera mon argumentaire, le sot.

J’ajoute une autre erreur fatale : la nécessité d’aller vite, la préoccupation du temps qui passe, l’obsession d’avoir un but, une mission à remplir. Là, c’est cuit. À l’inverse, le candidat à l’extase cycliste, équivalent modeste de la kundalini orientale, se laissera guider par la rêverie vélosophique qui infuse par la selle et remonte la colonne vertébrale jusqu’à la partie créative du cerveau (quand je disais que tout ça était scientifique).

J’entends les cris d’orfraie des adeptes du tout-sécuritaire. Non, il ne s’agit pas d’encourager le candidat à l’abandon total de sa conscience au monde. C’est au contraire une sur-présence qui se met en place. J’ai la conviction que dans cet espace d’absolue fusion avec l’univers que constitue un voyage à vélo réussi, le cycliste est invulnérable.

Mon premier vélo

J’ai dû l’attendre longtemps, mon premier vélo. J’avais presque 14 ans. C’est dire s’il devait être à la hauteur de mon attente. Il ne le fut pas. C’était le vélo du voisin. Ma mère le lui avait racheté. Difficile de cacher ma déception : il avait un guidon tout droit, une selle trop large, et aucun changement de vitesses. Le plus grave pour moi : il avait des sacoches. Ce genre de sacoches en plastique, avec des franges comme des bottes de cow-boy. À cette époque de ma vie, les sacoches étaient une sorte d’insulte à l’imaginaire. Elles ravalaient le fier destrier au rang de « vélo de père tranquille ».

Ma mère les trouvait bien pratiques pour faire les courses. Mais, moi, je ne voulais pas d’un vélo bien pratique pour faire les courses, je voulais enfourcher mon rêve de liberté, le chevaucher comme Rimbaud ses semelles de vent. J’ai donc cisaillé discrètement les sacoches. Puis changé le guidon pour un modèle « course », en forme de cornes de taureau. L’allure était encore pataude, c’était ce qu’on appelait un « randonneur ». On était loin du Tour de France. Mais le nez dans mon nouveau guidon, j’avais le potentiel d’imaginaire suffisant pour grimper le Tourmalet.

Ensemble, nous avons affronté les vents contraires pour aller chaque matin au collège. Avec une seule vitesse, quand tous mes copains en avaient au moins huit. Mais cette souffrance nous a rapprochés, lui et moi.

Est-ce une histoire de filles, auprès desquelles le prestige du vélo n’est plus suffisant ? Un jour j’ai succombé au mythe de la mobylette. Et c’est sans effort, en faisant rugir mes cylindres, que je ralliais le lycée où nous attendaient ces princesses de 16 ans qu’il fallait conquérir coûte que coûte. Question de vie ou de mort. Arriver à bicyclette, sacoches ou pas, c’était l’humiliation. Mon vélo à guidon de course ne pouvait plus suivre. Je l’ai remisé à la cave. À 16 ans, on n’a pas le cœur assez grand. Ma mère l’a revendu à son tour. Je crois qu’il séjourne dans la cave d’un autre voisin.

Aujourd’hui, quand je reviens dans la maison de mon enfance, j’ai toujours un frisson. Quelque part dans cette rue, je sais qu’il m’attend.

Militantisme

Prévert disait qu’il faut essayer d’être heureux ne serait-ce que pour donner l’exemple. Il en va ainsi du vélo. Inutile de militer, il suffit d’en faire.

La juste mesure du monde

Avec un ami cycliste, on s’est partagé le territoire. À moi, Paris intra-muros, à lui le reste du monde. Et j’avoue que cette répartition me convient. Je suis un cycliste résolument urbain. Mon univers est balisé, quadrillé par les lois de la République. J’essaie juste de me faufiler dans les interstices. Mais à la moindre crevaison, je file penaud chez le réparateur, on ne m’a jamais vu me salir les mains avec la chaîne.

Lui a traversé l’Eurasie à vélo, jusqu’au Japon, en passant par l’ex-URSS et toutes les montagnes possibles : Alpes, Caucase, Pamir, Tian-Chan et Himalaya. C’est dire si on n’a rien en commun.

Cet ami est comme une extension de moi-même, par-delà le périphérique parisien. Il est la part de moi qui a osé. Sauf que le froid polaire c’est pour lui, le désespoir sur les pentes de l’Himalaya aussi, la canicule du désert bolivien et, bien sûr, les crevaisons, les mains dans le cambouis encore pour lui. À moi la douce exaltation d’écouter ses récits de souffrance, fumant la pipe au fond d’un fauteuil club, un verre de cognac à la main. Je le répète, on s’est répartis les tâches ainsi, il fallait réfléchir avant. 

De ces lieux impossibles, il ramène des photos touchantes qui témoignent d’une évidence : sur son vélo, il ne fait pas peur. On le voit dans le regard des gens. Il y a de la bienveillance pour cet extraterrestre qui vient vers eux avec une inhabituelle lenteur (pour un Occidental), et donc une désarmante douceur. « Voyager lentement, c’est rencontrer rapidement », dit-il. Enfourcher un vélo, c’est aussi chevaucher tous les paradoxes. La fragilité devient une force, le rythme indolent un accélérateur. 

En prenant le temps de toucher du pneu chaque kilomètre, il lui redonne toute son ampleur et, pour ainsi dire, sa chair. Son vélo restitue une terre à la fois immense et intime. La juste mesure du monde.

Retour vers le futur

L’imagerie associée au vélo a longtemps été celle du curé de campagne, ou alors ces milliers de Chinois partant au travail dans les rues de Pékin. Quelque chose de l’ordre d’un passé révolu. On pratiquait le vélo par défaut. La voiture allait bientôt nous balayer tout ça et renvoyer l’antique machinerie dans les poubelles de l’Histoire.

Il est plaisant de constater que ce XXIe siècle de toutes les innovations place au centre de la problématique urbaine... le vélo ! Un réchauffement climatique, une planète en voie d’épuisement, et voici la bicyclette parée de tous les atouts de la modernité : mode de transport doux, non polluant, silencieux, ne consommant aucune énergie autre que celle de l’humain à qui au passage elle permet de maintenir un poids de forme optimal.

Je pense d’ailleurs que le vélo est au-delà d’une certaine modernité. Son mode de propulsion ultra simple, réduit à l’essentiel, le place du côté de l’intemporel.

Ringardiser le vélo

J’observe les nouveaux modes de déplacement alternatifs, censés ringardiser le vélo. La trottinette électrique, le gyropode, la monoroue... Quand je vois passer sur la chaussée ces êtres humains droits comme des i, les deux pieds dans une boule, ou les deux mains sur un manche, me revient en tête le dessin animé Wall-E qui met en scène des bonshommes obèses incapables de marcher, propulsés sur des rails et dévorant du pop-corn...

À ces gens qui se déplacent avec une raideur dérangeante, il manque tout simplement la magie du mouvement corporel. Comment peuvent-ils renoncer aussi facilement à la formidable ingénierie du corps humain ? Cette imbrication inouïe de muscles et tissus commandée par l’ordinateur le plus épatant à ce jour, le cerveau... Leur machine abolit une fonction vitale, le mouvement. Alors que le vélo lui, le favorise.

Le meilleur ami de l’homme ?

Le vélo en libre-service dans les villes est une belle idée. La mise en communauté d’un bien, l’échange, le partage. Voilà qui va à contre-courant de l’individualisme triomphant. Certes. Mais je confesse une petite réserve sur le principe, tellement louable par ailleurs. Il objective la bicyclette, en fait un support indifférencié, interchangeable. Un bête engin qu’on abandonne quand il devient encombrant. Le plus éprouvant pour un vélophile sensible comme moi (trop sans doute) est ce tout nouveau système de vélos géolocalisés qu’on laisse n’importe où, sans attache. Je les vois isolés, parfois au sol, souvent vandalisés, jetés dans la Seine...

Selon une conception animiste vaguement ridicule que je me plais à entretenir, le vélo n’est pas neutre. De même que l’on dit les murs d’une maison imprégnés des vies qu’elle a abritées, je crois le vélo porteur dans sa tubulure de toutes mes joies et mes souffrances cachées. Un lien particulier nous unit, une histoire commune nous a construits, inexplicable au profane.

Je veux croire que mon vélo frétille à mon approche. Au moins autant que moi.

Navigation cycliste

À la conduite du vélo, je préfère le terme de navigation. En ville, le cycliste avisé gagnerait à pratiquer le cabotage, la dérive. Tirer des bords plutôt que suivre les couloirs convenus qui sont le triste lot de l’automobiliste. Partir de Montmartre pour rallier Montparnasse consisterait pour le cycliste à vaguement orienter ses roues vers le sud, puis à corriger la trajectoire d’un coup de guidon régulier, comme un barreur le fait sur son embarcation. 

Le trajet se fera au jugé, en choisissant l’opportunité des petites rues, enchaînées les unes après les autres comme elles se présentent, en gardant plus ou moins le cap. Ce sentiment de naviguer sur l’océan urbain procure de belles sensations de liberté et de découverte. Car il laisse en permanence ouverte la possibilité que le hasard s’en mêle. De l’inédit ne manquera pas de surgir sous les roues : rencontres incongrues, quartiers inconnus, voire moments de grâce…

Ce principe de dérive orientée que seul le vélo propose (l’automobiliste en deviendrait fou et le piéton s’y épuiserait) évite l’endormissement des itinéraires répétés, maintient l’attention en éveil à chaque instant. Et puis, quel est le risque ? Se perdre ? À vélo, on apprend vite que se perdre et la meilleure façon de se trouver.

Conscience

Le vélo est un moyen de locomotion de la conscience. À l’extérieur on se déplace à vélo, mais à l’intérieur, c’est le vélo qui nous déplace.

En danger ?

Sur un vélo en ville, le vrai danger vient du sentiment de danger. Qui l’attire immanquablement. Je préconise au contraire d’entrer sur la chaussée avec la tranquille assurance de sa propre invulnérabilité (ça se travaille). Être avant tout convaincu de la légitimité à occuper cyclistement sa place dans le trafic, avancer à son rythme, dépoitraillé, cheveux au vent, buste droit et menton levé, si possible en sifflotant (ça aide). 

N’oubliez pas que vous êtes le porte-étendard d’un nouvel art de vivre la ville, qui circule sans la protection d’une vulgaire tôlerie, sans polluer ni assourdir. Vous avez sur le porte-bagages un pique-nique et la promesse d’un monde nouveau et doux. Vous êtes précieux et c’est donc aux autres de prendre soin de vous.

Je garantis que se présenter ainsi sur le bitume crée une bulle autour de vous, une aura, et que les voitures s’adapteront à votre trajet, soudain respectueuses. En retour, vous leur assurerez une trajectoire lisible sans décrochements subits, arborerez un sourire bienveillant à l’égard de vos nouveaux amis automobilistes, leur témoignant au passage qu’une autre vie est possible, désincarcérée. 

À tous les néocyclistes, je conseille trois tours de l’Arc de Triomphe en chantonnant Les Champs-Élysées de Joe Dassin. Cette jungle automobile est le meilleur des vaccins. Partout ailleurs on se sentira en sécurité.

Les ennemis du vélo

Le froid. Faux ennemi. Le cycliste sait qu’au bout de dix coups de pédale, la chaufferie interne du corps humain est enclenchée. Et même, on a trop chaud sous ce gros anorak, on l’attache à la taille par les manches, sous les yeux médusés des passants frigorifiés.

La pollution. Pas autant que pour les automobilistes, les passagers de bus et même du métro. Le vrai péril, c’est le confinement. En cas de pic, le cycliste peut rouler sans trop de dégâts, à l’écart des voitures tant que possible et en évitant l’essoufflement.

L’effort. Ce n’est pas un ennemi non plus. Un minimum permet déjà le déplacement (magie de la démultiplication). Non, le vrai problème, c’est le relief. Courage aux cyclistes de Montmartre, Belleville, Ménilmontant, Lyon (deux collines) !... Ville interdite : San Francisco (plus jamais !).

Le vent. Ambivalent. De face à l’aller, mais dans le dos au retour (proverbe cycliste).

La crevaison. Assurément. Apprendre à réparer dans les nombreux ateliers. (Moi, je préfère encore payer très cher, je suis fâché avec les rustines.)

Le vol. Oui ! (Soupir.) On m’a volé trois vélos. Un ami macule ses vélos neufs de crottes de pigeon, pour les rendre moins attractifs. Ça marche.

Les couloirs de bus partagés avec les vélos. Attention, piège ! D’énormes bus surgissent derrière vous en silence puis déclenchent un klaxon effroyable. Infarctus garanti.

Les flics. Oui. Quatre points retirés sur mon permis auto pour un franchissement à vélo de feu rouge, en suivant pourtant le trottoir à angle droit... Je ne décolère pas. On ne traite pas les fossoyeurs de l’humanité (voitures) comme les rédempteurs du genre humain (vélos).

– Mais nos ennemis jurés restent les ouvreurs de portière à l’approche d’un vélo. Qu’ils rôtissent en enfer.

Bonheurs de cycliste

– Se faire dépasser par un véhicule klaxonnant, et plus loin remonter la file de voitures à l’arrêt, repasser devant le même chauffeur éruptif en le saluant d’un joyeux signe de la main.

– Une descente sans un coup de pédale, avec l’impression de voler.

– Passer devant une pompe à essence sans s’arrêter.

– Rouler sur les quais d’un fleuve, loin de la rumeur automobile, côtoyer la puissance tranquille de ses eaux, avec l’idée grisante que l’un de nous deux ira jusqu’à la mer.

– Contourner le camion-poubelle qui obstrue la rue, et continuer mon chemin avec la certitude que dans la vie je suis inarrêtable.

– Rouler aux côtés de l’être aimé. Deux amoureux à vélo ne traversent pas une ville, ils la transpercent comme un nuage sur des pédales de vent.

Une pensée pour la voiture

– La différence fondamentale entre l’automobiliste et le cycliste est que l’un transporte avec lui son espace privé dans un habitacle clos. L’autre s’offre à l’espace public. L’un se coupe du monde extérieur, l’autre fait corps avec lui. 

– Du haut de ma selle, j’entends la plainte automobile. Elle réclame le droit d’engorger les villes encore et toujours, au nom de la liberté de circuler, qu’en exerçant elle supprime.

– L’OMS fournit le chiffre de 50 millions par an de morts, blessés ou handicapés sur les routes du monde. Ce qui fait de la voiture l’un des tout premiers prédateurs de l’homme. Qui pourtant fréquente chaque année en masse le Salon de l’auto. Alors que jamais les souris n’iront au Salon du chat.

– Les hommes du futur s’étonneront un jour de ce que, pour se déplacer en ville, leurs lointains ancêtres s’enfermaient chacun dans une caisse d’acier qui n’avançait pas, dégageait de la fumée toxique, les isolait les uns des autres et les mettait dans un grand état d’exaspération. Ils s’amuseront d’apprendre qu’au surplus leurs ancêtres, du fond de leurs boîtes, s’opposaient avec la dernière énergie à ce que ça change. Ne riez pas, les ancêtres, c’est nous. 

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