N’espérez pas questionner la sexualité masculine sans déclencher un débat houleux. Au carrefour de nombreuses disciplines telles que la biologie, la psychanalyse, l’anthropologie, la psychiatrie, la sociologie et les neurosciences, la sexologie est un objet d’étude transdisciplinaire qui se nourrit d’une multitude de regards complémentaires et souvent divergents. Et quand il s’agit d’aborder la place qu’occupe la violence en son sein, la question devient des plus épineuses. Depuis la libération sexuelle de la femme, l’image de l’homme conquérant, détenteur privilégié de la libido, est mise à mal mais les cas de violences sexuelles sont loin d’avoir diminué pour autant. La sexualité masculine serait-elle violente par essence ? 

Pour Alain Héril, sexothérapeute et auteur du livre Dans la tête des hommes (Payot, 2016), il existe « un fond d’agressivité » inhérent à la sexualité humaine. Il correspond à « l’envie d’entrer dans l’espace de l’autre, de l’envahir avec son désir ». Ce qu’il qualifie d’« agressivité saine » n’est en aucun cas comparable à la notion d’agression sexuelle comme définie dans le droit pénal français : une atteinte de nature sexuelle exercée avec menace, contrainte, surprise ou violence, et sans le consentement de la victime. Il s’agit plutôt d’une forme d’énergie brutale, indissociable de la sexualité des hommes comme de celle des femmes. Celle-ci n’est pourtant pas égalitaire, puisqu’elle est « encouragée par la testostérone, qui est à la fois l’hormone du désir et celle qui permet au muscle de se fabriquer ». Or cette dernière est présente en plus grande quantité chez les hommes que chez les femmes. Pour Alain Héril, ce déséquilibre explique en partie l’établissement d’une domination physique de l’homme sur la femme. 

Du côté de la psychanalyse, on admet plus clairement une part de violence au cœur de la sexualité masculine. Jacques André, auteur d’un « Que sais-je ? » sur le sujet (PUF, 2013), explique que celle-ci prend sa source dans le rapport de l’homme à la mère et son désir de vengeance. C’est le « complexe de la Madone et de la putain », la putain étant « la femme dont on se croyait le seul être aimé et dont on découvre un beau jour qu’elle passe ses nuits dans la chambre de quelqu’un d’autre ». C’est la découverte par l’enfant que sa mère couche avec son père et, par la même occasion, la première expérience du sentiment de trahison. « Ce couple de la mère et de la putain a toujours été au cœur de l’inconscient masculin, en chaque homme, à des degrés divers, explique Jacques André. Or l’inconscient, qui correspond au fantasme, est le socle de la sexualité humaine. » Et l’inconscient se fiche de la morale. « C’est la part d’inacceptable. Ce que l’on en fait définit ensuite la trajectoire d’un être. » 

Bien que présente dans l’inconscient masculin, la violence sexuelle exercée par certains hommes ne serait pourtant pas une fatalité. Pour Philippe Brenot, directeur des enseignements de sexologie et de sexualité humaine à l’université Paris-Descartes, l’idée d’une pulsion irrépressible n’est qu’un mythe fabriqué. « De nombreuses femmes pensent qu’accepter d’avoir des rapports sexuels avec un homme à un moment où elles ne le désirent pas, c’est répondre à un besoin, explique-t-il. C’est faux : il n’existe pas vraiment de besoin sexuel dans le sens où l’absence de sexualité ne développe pas de maladie chez l’homme. » Elle peut en revanche faire naître une réelle frustration. Dans Les Hommes, le Sexe et l’Amour (Marabout, 2013), le psychiatre, également anthropologue, analyse les données d’une étude au cours de laquelle les participants étaient interrogés sur la fréquence de leurs rapports sexuels et sur la fréquence qu’ils estimaient idéale. Résultat : l’homme en veut toujours plus ! Les participants qui faisaient l’amour quatre fois par mois rêvaient de le faire dix fois, tandis que ceux qui avaient quinze rapports mensuels rêvaient d’en avoir trente-six… « Non gérée, cette frustration est source de violence, explique-t-il. Un grand nombre d’hommes violents sont des hommes peu capables de gérer cette frustration. » 

L’hypersexualité de notre société, caractérisée par la tyrannie de la performance et de la jouissance à tout prix, n’apaise en rien ce sentiment de frustration déjà ancré. L’image de l’homme conquérant et de la femme objet continue de nourrir l’imaginaire de l’industrie cinématographique, des jeux vidéo, des publicités… mais par-dessus tout de la pornographie. « Avec Internet, elle est devenue la porte d’entrée principale sur la sexualité de la plupart des adolescents », se désole Jacques André. Dans un sondage d’opinion réalisé par l’IFOP en mars 2017, plus de la moitié des adolescents de 15 à 17 ans déclaraient avoir déjà surfé sur des sites pornographiques au cours de l’année, contre 37 % en 2013. Un enfant sur sept a vu son premier film X à 11-12 ans et 68 % d’entre eux entre 13 et 15 ans. « Toute la pornographie dépend du fantasme masculin, poursuit le psychanalyste. Elle repose sur l’axiome : “Toutes des salopes qui ne demandent que ça.” » À cause du règne de la pornographie, la plupart des garçons découvrent la sexualité sous l’angle de la violence, à travers des images d’organes, de corps sans visage et de mises en scène relevant du fantasme et non de la réalité. « Certains y passent des nuits entières, constate-t-il. Il existe une réelle addiction adolescente à la pornographie. »

Bien que les regards sur la sexualité masculine divergent, une idée fait consensus : c’est par l’éducation que la violence sera combattue. Philippe Brenot insiste : « La sexualité n’est pas naturellement réalisable, elle est le fruit d’un apprentissage. » Il déplore qu’aucune éducation sexuelle véritable ne soit délivrée aux plus jeunes. « Les programmes sont très aléatoires et la sexualité n’est généralement abordée que sous l’angle de la contraception et de la protection contre les infections sexuellement transmissibles. » Pour Alain Héril, la sexualité n’a rien d’instinctive : « Ce qui l’est, c’est le désir de procréation. L’homme est programmé pour éjaculer au bout de dix-sept secondes. La sexualité, elle, existe dans la relation et dans la prise de considération de l’autre. Elle n’existe que dans la notion de consentement. »

Une révolution sexuelle masculine serait-elle à envisager ? Depuis les premiers travaux de William Masters et Virginia Johnson à la fin des années 1950, la sexologie s’est davantage intéressée au cas des femmes, considérant que, pour les hommes, les choses allaient de soi. Dans son cabinet de consultation, Alain Héril observe que ses patients sont de plus en plus nombreux à prendre conscience de la complexité de leur sexualité et à interroger leur comportement de prédateur. « C’est la prochaine révolution, affirme le sexologue. Les hommes sont depuis longtemps formatés à l’idée qu’ils n’ont qu’une seule sexualité et font tout un tas d’efforts pour l’honorer. Mais j’ai le sentiment qu’ils acceptent aujourd’hui davantage les différentes facettes qui la composent. » À ses yeux, c’est en se rencontrant entre hommes, en renonçant à se voir comme rivaux et en acceptant que la tendresse circule entre eux, même en dehors d’un contexte homosexuel, que le processus pourra s’enclencher. La violence est peut-être spécifique à la sexualité masculine, mais la capacité à maîtriser ses fantasmes et à s’opposer à l’inacceptable est également une faculté propre à l’homme, qui le distingue du règne animal. Y compris porcin. 

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