On les a vus surgir dans le débat public français après la vague mondiale de témoignages féminins déclenchée par l’affaire Weinstein. Ils n’attendaient qu’une occasion de se manifester à nouveau. Les défenseurs de la galanterie « à la française », soi-disant menacée par des cohortes de harpies revendicatrices. Les défenseurs d’un ordre sexuel immémorial, parmi lesquels on trouve aussi des femmes, une poignée de pétroleuses du Figaro ou de Causeur, faisant commerce de l’inquiétude qu’on néglige un jour de leur tenir la porte. On les connaît bien tous ces rédacteurs en chef sexagénaires, s’écriant lors d’une réunion concernant un dossier sur les « nouvelles féministes » : « Il ne faudra pas vous étonner si un jour les hommes ne bandent plus ! » Ces mâles inquiets pour l’avenir de la virilité, ces angoissés de la maternisation de la société, thèse du psychanalyste Michel Schneider, auteur en 2002 d’un Big Mother rassemblant toutes les hantises du genre. À tous ceux-là, on tient à apporter aujourd’hui un message d’espoir : il y a peu de chances pour que la domination masculine relâche un jour son zèle, peu de chances pour que les femmes épousent en masse des hommes de vingt ans de moins, peu de chances pour qu’elles socialisent un jour sur fond de blagues salaces devant leurs subordonnés dans les open spaces

Oui, rassurez-vous, l’affaire est finalement assez mal engagée pour les femmes. D’ailleurs, aujourd’hui en France, on observe même, aussi fou que cela paraisse, un recul de l’égalité salariale entre hommes et femmes, selon les observations chiffrées précises établies par le collectif féministe Les Glorieuses. 

Pour les plus courageux d’entre vous, ceux qui voudraient s’offrir un dernier petit frisson horrifique, jetez toutefois un œil à l’entretien accordé au Monde par Françoise Héritier le 4 novembre dernier, quelques jours avant sa disparition. Spécialiste de ladite domination masculine, l’anthropologue y affirmait tranquillement que, pas plus que pour les races, la hiérarchie entre les sexes ne correspond à aucune réalité biologique, que même la différence de corpulence et de taille, qui pourrait fonder un déséquilibre originel entre les puissances respectives des hommes et des femmes, a été créée et amplifiée au fil du temps par un différentiel dans l’alimentation, qu’aucune distinction entre leurs facultés intellectuelles n’a non plus jamais pu être établie. Et donc, qu’il aura fallu un nombre incalculable de raisonnements erronés, de croyances archaïques, et surtout de violences, pour qu’on en arrive, dans les sociétés traditionnelles, à cantonner les femmes à l’espace domestique, que rien dans le fait d’enfanter ne les prédisposait en réalité à ça. Un scoop anthropologique pour le moins décoiffant, n’est-ce pas ? Une vision renversante où, aux origines mêmes de l’humanité, un secret inavouable serait enfoui, celui de la parfaite égalité entre les sexes qui, tels l’androgyne sphérique du Banquet de Platon, n’auraient été différenciés que par la prise de pouvoir toujours accentuée des mâles. Ainsi, comme souvent, c’est la domination elle-même qui aurait engendré les apparences du bien-fondé de la domination.

Rassurez-vous, personne n’en saura rien. Au fond, personne n’a vraiment intérêt à ce que ce secret s’ébruite. Nous autres, les femmes, nous sommes plus ou moins consciemment coulées de longue date dans l’habitus de la séduction et du retrait consenti, développant des stratégies de la faiblesse performantes, nous y complaisant même, notamment dans l’intimité. Revenir sur une telle spoliation serait bien trop fatigant pour l’humanité – car si l’on prend la chose au sérieux, c’est bien de la plus grande spoliation de son histoire qu’il s’agit. 

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