Il y a dans la relation patient-médecin une profonde ambivalence, pour ne pas dire un paradoxe. Alors que les résultats d’enquêtes de satisfaction atteignent des sommets – en 2018, plus de 90 % des Français se déclaraient satisfaits de leurs médecins généraliste et spécialistes (Odoxa, baromètre santé) –, les patients n’hésitent pas à remettre régulièrement en cause les diagnostics établis, allant parfois jusqu’à exprimer une véritable défiance vis-à-vis du corps médical. Le succès de forums tels que ceux de Doctissimo confirme un besoin ancré d’obtenir, pour toutes sortes de pathologies, un second avis. Quitte à se tourner vers d’autres patients, qui n’ont souvent pour connaissances médicales que celles tirées de leur propre expérience de malade. Est-il possible d’avoir confiance en la médecine, mais non en son médecin ? Et pourquoi les patients doutent-ils ? 

Élisabeth Belmas, professeure d’histoire moderne et spécialiste de la santé, rappelle que le phénomène de remise en question de la parole médicale « remonte aussi loin que l’époque d’Hippocrate ». Des satires de Molière au Knock de Jules Romains, en passant par les consultations épistolaires du xvie au XVIIIe siècle, la littérature qui met en lumière le doute, si ce n’est la défiance du patient, foisonne. « Jean-Jacques Rousseau lui-même se rendait à sa consultation avec un diagnostic tout prêt ! » raconte-t-elle. 

Aujourd’hui, « ce qui s’interpose principalement entre le médecin et son patient, ce sont les batteries d’examens médicaux, à qui l’on confie le soin d’éclairer les problèmes », poursuit l’historienne. La parole du patient, auparavant déterminante dans l’élaboration d’un diagnostic, a perdu sa place centrale. En cause principalement, la méthode de l’evidence based medecine (une « médecine basée sur les preuves »), qui a imprégné la formation des dernières générations de médecins. Venue des États-Unis, elle prône une médecine factuelle qui s’appuie sur des statistiques à l’échelle de populations, et laisse ainsi « peu de place à l’individualité du patient et à son ressenti ». 

Le manque d’attention

Selon une célèbre étude citée dans l’ouvrage Docteur, écoutez ! (Albin Michel, 2018) d’Anne Révah-Lévy et de Laurence Verneuil, au cours d’une consultation, un médecin coupe la parole de son patient au bout de 23 secondes en moyenne. Pour Anne Révah-Lévy, professeure de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à Paris 7, le malade n’a plus la possibilité d’exprimer sa souffrance. « Dès qu’il le fait, on psychologise ! Et résultat, on lui prescrit des psychotropes. » Selon une étude de l’Inserm, environ 18 % de la population française déclarait avoir consommé au moins un médicament psychotrope au cours de l’année 2010. La France figure parmi les plus gros consommateurs européens. « Il faut savoir accueillir la souffrance du patient autrement, poursuit-elle, car celle-ci fait partie intégrante de la maladie. »

Chef de service à l’hôpital d’Argenteuil, elle rejette la faute sur un « système qui fait tout pour dénaturer la relation entre le médecin et son patient », notamment dans le milieu hospitalier où la médecine, « intégrée dans un système économique », doit être rentable pour continuer à vivre, les consultations se faisant donc dans la hâte. Or le lien entre la longueur d’une consultation et la qualité de la prise en charge est avéré. Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil mettent en lumière une autre étude, britannique, selon laquelle une consultation plus longue entraînerait moins de prescriptions, davantage de conseils relatifs au style de vie du patient, une meilleure observance des traitements de sa part et une augmentation de sa satisfaction.

Le manque d’écoute n’est pas l’apanage de l’hôpital et caractérise aussi

Vous avez aimé ? Partagez-le !