Il y a quelques années, plusieurs de mes collègues médecins s’étaient amusés à collectionner les perles entendues dans leur cabinet. Pour s’assurer qu’il était en bonne santé, tel patient voulait faire « un ketchup » ; tel autre signalait qu’on lui avait « enlevé la vésicule immobilière »… Pour ma part, je suis plutôt en butte aux patients surinformés. L’un d’eux, monsieur D., a l’art de gâcher ma journée. Quand il prend rendez-vous, je sais que j’en aurai pour au moins trois quarts d’heure et que je choperai une forte migraine à la suite de cette confrontation.

Monsieur D. n’est pas un malade imaginaire. Il souffre réellement de problèmes digestifs et de douleurs lombaires. Mais, pour mon malheur, il passe des heures à se documenter sur des sites spécialisés ou sur les réseaux sociaux. Il arrive avec une foule de questions, très précises. En réalité, il a déjà établi le diagnostic de son trouble du moment, qu’il me demande de confirmer. Ce n’est jamais vraiment exact ni tout à fait faux. Nous délibérons ensuite pour déterminer le traitement à observer. Je sais que, de toute façon il récupérera son dossier, ira demander un second avis, puis confrontera les deux prescriptions avec les points de vue d’autres internautes.

Agacé, il m’arrive d’employer des termes particulièrement obscurs pour rappeler à monsieur D. qui est le médecin. Je guette, dans sa bouche, la grossière erreur technique que je ne manquerais pas de souligner. Mais cela n’arrive jamais. Je repense avec envie à mes collègues collectionneurs de perles. Hélas ! Ce n’est pas monsieur D. qui viendrait consulter pour « une hernie fiscale » ou « un coma idyllique »… 

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