On le disait exsangue, désuet, dépassé. Écrasé par une mondialisation des échanges qui rapetissait son rôle. Négligé par une population si atomisée qu’elle n’avait plus de nation que le nom. Et pourtant, à l’heure où l’humanité connaît le sentiment paradoxal de traverser une épreuve globale sous le seul regard de son voisinage, c’est bien vers l’État que se tournent les citoyens. Au plus fort d’une crise mondiale où certaines organisations internationales semblent aux abonnés absents, c’est à chaque pays qu’il revient d’orchestrer sa réponse sanitaire. Et, de fait, l’État est venu rappeler à qui l’aurait oublié qu’il conserve quelques atouts forts dans son jeu. Tantôt mère poule, quand il distribue l’argent de poche ou rappelle comment tousser dans son coude. Tantôt père fouettard, lorsqu’il sermonne les sorties des uns et tance les achats des autres. Voire un peu Big Brother, quand il traque les données personnelles et lance ses drones dans le ciel des grandes villes pour faire respecter le confinement. La proclamation, le 24 mars, de l’état d’urgence sanitaire a ainsi consacré en France le réveil de l’« État brancardier » – sans éloigner les interrogations sur ces nouveaux pouvoirs arrogés à la va-vite et sans débat citoyen.

Ce grand retour de l’État est-il pérenne ? Annonce-t-il une ère nouvelle, autour de « décisions profondes » comme annoncées par Emmanuel Macron ? Après tout, la « crise » relève en grec ancien du royaume du jugement, du dénouement. Mais si, selon le mot de Hannah Arendt, cette crise « fait tomber les masques et efface les préjugés », elle ne gomme pas pour autant des mois de défiance envers le pouvoir. Les multiples polémiques autour des masques, des tests de dépistage, ou encore de la désormais fameuse chloroquine, ont déjà plus que fissuré l’union nationale, et rappelé à l’exécutif que les démonstrations de force ne sauraient seules convaincre la population. Car la demande d’État n’est pas qu’une demande de sécurité. Elle est, aussi, une demande d’efficacité, de transparence, de respect de « l’utilité commune ». Pour les démocraties en particulier, cette crise sanitaire fait figure de test majeur quant à leur capacité à faire face sans oublier leurs principes fondateurs. Dans le meilleur des cas, elle pourrait permettre in fine de renouer avec un État social, abîmé par des décennies de dérive néolibérale. À défaut, elle laisserait la porte ouverte à un autre genre de virus, celui du nationalisme autoritaire et de la société de surveillance. 

 

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