L’âme humaine pèserait 21 grammes, soit l’équivalent d’un colibri ou d’une barre de chocolat. C’est la conclusion de Duncan MacDougall, un psychiatre américain pétri de religion qui, convaincu de la tangibilité de l’âme, a cherché à vérifier son intuition par le biais d’une expérience bien particulière. En 1900, il place six patients tuberculeux en fin de vie sur des lits-balances construits de ses propres mains et prend note de leur poids avant et après leur décès. Selon ses observations, en mourant, chaque patient aurait perdu très exactement 21 grammes. Il en conclut que ce déficit ne peut correspondre qu’au poids de l’âme qui, en s’échappant du corps du défunt, allège ce dernier. Le médecin, avide d’en découvrir davantage, décide de reproduire l’expérience avec des chiens, probablement empoisonnés pour l’occasion. Surprise : l’aiguille de la balance, cette fois-ci, ne bouge pas d’un iota. Cette découverte suffit à MacDougall pour conclure que seuls les humains possèdent une âme. Sûr de lui, le médecin réunit ses résultats dans un compte rendu qu’il parvient à faire publier dans le New York Times, en 1907. Ses pairs, indignés, dénoncent des conditions d’expérimentation douteuses et un manque de rigueur scientifique manifeste. 

Si la théorie du poids de l’âme – qui ne sera par la suite jamais prouvée selon une méthodologie scientifique – peut faire sourire, elle marque néanmoins un moment symbolique : le jour où la science moderne s’est invitée dans le pré carré du domaine religieux et spirituel en s’intéressant à la mort sous sa forme la plus immatérielle. Au fil du XXe siècle, l’intérêt de la communauté scientifique pour le sujet n’a fait que croître. Depuis les années 1960, particulièrement, des études sérieuses sont menées dans un cadre éthique. Aux États-Unis et en Europe, des départements universitaires s’interrogent : qu’advient-il de la conscience lorsque meurt le corps physique ? Cette question, vertigineuse, suscite un débat chez les scientifiques.

 

Le postulat matérialiste de la conscience

Au Coma Science Group, centre d’études de référence sur les troubles de la conscience à l’université de Liège, Charlotte Martial travaille à comprendre les expériences de mort imminente (EMI). L’EMI, explique la chercheuse, correspond à « un épisode de conscience déconnectée, à une expérience mentale vécue sans réel lien avec l’environnement physique, un peu comme un rêve ». On reconnaît une EMI grâce à un certain nombre de caractéristiques, comme la vision d’un tunnel, d’une lumière brillante, une sensation de décorporation, l’impression de quitter le monde terrestre pour entrer dans une autre dimension, ou encore la rencontre avec des entités ou des personnes décédées, et un sentiment de paix mêlé à une joie intense.

Depuis la mise au point de la réanimation cardiopulmonaire à la fin des années 1950, les témoignages d’EMI se multiplient partout dans le monde, facilitant la tâche des chercheurs. Selon une estimation de l’université de Copenhague, au Danemark, 10 % de la population mondiale aurait vécu une expérience de mort imminente. « L’être humain n’a pas besoin d’approcher la mort de près pour vivre une EMI, précise Charlotte Martial. Cette expérience peut lui arriver sans que sa vie ne soit spécialement en danger, comme à l’occasion d’une transe, d’une méditation, d’une syncope, d’un épisode de fièvre ou de forte anxiété. C’est l’une des découvertes que nous avons faites ces vingt dernières années. »

Pour étudier au mieux ce phénomène naturel imprévisible, l’équipe du Coma Science Group a travaillé à induire en laboratoire un état de conscience proche de celui d’une expérience de mort imminente sur des cerveaux d’individus cobayes, notamment grâce à l’usage de psychédéliques ou de la réalité virtuelle. L’expérience présente plusieurs avantages, en particulier celui de pouvoir utiliser des appareils de neuro-imagerie pour observer la réaction du cerveau. « C’est ainsi que nous avons compris que si l’on stimulait la jonction temporo-pariétale du cerveau, on pouvait induire chez certaines personnes une impression de sortie de son corps », explique la chercheuse qui espère comprendre un jour le sens du phénomène de décorporation à l’approche de la mort. 

Pour Charlotte Martial et son équipe, l’étude des phénomènes de conscience modifiée n’a rien d’une quête mystique. « La littérature scientifique aujourd’hui disponible montre une corrélation entre l’activité cérébrale et la conscience, explique la chercheuse. On fait donc l’hypothèse que la conscience viendrait, au moins en partie, de l’activité du cerveau. » Elle garde néanmoins son esprit scientifique ouvert. « Nos connaissances restent limitées à ce que les encéphalogrammes et l’IRM veulent bien nous montrer. Demain, l’hypothèse matérialiste pourrait voler en éclats si nous disposions d’un nouvel outil permettant d’étudier d’autres mesures, mais pour l’heure, la méthode scientifique nous incite à croire que la conscience disparaît après la mort cérébrale. »

Depuis plusieurs décennies, pourtant, des neuroscientifiques reconnus et de plus en plus nombreux invitent à considérer sérieusement l’hypothèse que la conscience serait première, ce qui par extrapolation induirait l’existence d’un au-delà. Raymond Moody, psychiatre et docteur en philosophie américain, est le premier à s’y être risqué en 1975, dans son ouvrage La Vie après la vie. Depuis, le tabou est levé et ce type de livres grand public, qui franchissent parfois les frontières strictement établies par la méthode scientifique, foisonne. « Ces approches sont légitimes, convient Charlotte Martial, mais potentiellement biaisées : il s’agit d’être clair pour déterminer ce qui est démontré par la science et ce qui ne l’est pas, ou pas encore. »

 

L’hypothèse d’une vie après la mort 

Christophe Fauré, psychiatre et auteur de Cette vie… et au-delà (Albin Michel, 2022), fait partie de ceux qui s’autorisent à pencher en faveur de l’hypothèse d’une conscience non localisée, n’ayant donc ni commencement ni fin. Elle consiste à penser que « la conscience se manifeste par un cerveau et que, quand ce dernier disparaît, elle continue de se manifester, mais d’une autre manière », explique-t-il. Cette hypothèse, selon lui, donnerait un sens non seulement aux expériences de mort imminente, mais aussi à d’autres états de conscience modifiés, connus et bien documentés. Dans son ouvrage, véritable état des lieux de la recherche sur les « expériences de l’au-delà », Christophe Fauré dresse un tableau de ces phénomènes étonnants qui intéressent la communauté scientifique, comme les expériences de fin de vie (EFV) qui consistent, pour les patients au seuil de la mort, en état de veille ou dans le sommeil, à voir ou à percevoir la présence d’un défunt disant venir les chercher ; le vécu subjectif de contact avec les défunts : une expérience fortuite et inattendue de perception visuelle, olfactive, auditive ou tactile d’un défunt ; ou encore l’expérience de mort partagée, à savoir le vécu conscient, en direct, par un proche, d’une EFV au moment même où la personne en fin de vie en fait l’expérience. 

Les centaines de milliers de témoignages récoltés autour de ces expériences sont le signe, pour ce neuroscientifique et de nombreux autres, que la science finira par connaître un changement de paradigme, pour sortir d’une vision matérialiste de l’existence humaine. « Ce n’est plus qu’une question de temps et de cumul de données de plus en plus pertinentes, estime cet adepte du bouddhisme. Un jour peut-être, nous parviendrons à développer des appareils à la sensibilité tellement fine qu’ils permettront, en scannant une pièce, de détecter une modification du champ électromagnétique à un endroit précis », signe d’une potentielle présence. Le monde de la physique quantique, rappelle le chercheur en neurosciences, a lui aussi émis l’hypothèse que la conscience était première, à travers des figures de Prix Nobel comme l’Allemand Max Planck, ou plus récemment le Britannique Roger Penrose. 

Quels que soient le postulat et les motivations de départ, comprendre le devenir de la conscience au seuil de la mort pourrait permettre, un jour, de mieux prendre en charge les vivants. La plupart des individus ayant traversé une expérience de mort imminente voient, à la suite de celle-ci, leur vie chamboulée de manière positive. « On sait d’une part qu’il existe une forte ressemblance entre une EMI et ce qui est vécu sous certaines substances psychédéliques comme la psilocybine, le LSD ou la kétamine, et d’autre part que les psychédéliques ont des bienfaits thérapeutiques à différents niveaux, explique Charlotte Martial. Il serait donc intéressant de voir dans quelle mesure reproduire une expérience proche de l’EMI chez un patient souffrant d’une pathologie particulière ou en fin de vie pourrait avoir un intérêt thérapeutique. »

Une telle étude, néanmoins, n’est probablement pas pour demain. 

Bien que la conscience soit bel et bien devenue un sujet scientifique respecté, trouver des financements reste un défi constant, regrette la chercheuse belge. En attendant, les secrets de la conscience restent bien gardés, au grand dam, peut-être, de feu Duncan MacDougall qui, depuis l’au-delà, nous observe et attend, impatient et désespéré, que les humains percent enfin le plus grand mystère de l’univers. 

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