Le retour des privilèges ?
Temps de lecture : 3 minutes
Dans son nouveau roman, l’écrivain Bertrand Guillot brosse le portrait d’une France percluse de dettes, mais où les plus fortunés échappent volontiers à l’impôt. Un pays riche, mais traversé par la misère, un pays secoué par l’injustice et la colère. Portrait saisissant et aux allures furieusement contemporaines, s’il ne dépeignait en réalité la France de 1789, celle qui durant la nuit du 4 août vota l’abolition des privilèges, qui donne son titre au livre. Traversons-nous la même période révolutionnaire ? La France de 2022 n’est plus celle de l’Ancien Régime. Selon le coefficient de Gini, qui mesure l’inégalité des revenus au sein des nations, notre pays se range même parmi les bons élèves européens à cet égard, juste derrière les pays nordiques. Mais de là à claironner que tout va très bien, madame la marquise, il y a un (grand) pas.
Depuis plusieurs décennies en effet, les inégalités se creusent à nouveau. Le taux de pauvreté augmente, notamment chez les plus jeunes, l’espérance de vie des classes populaires est de six ans inférieure à celle des cadres supérieurs, les hasards de la naissance semblent plus que jamais présider à la destinée des individus. Et ce n’est pas le quinquennat actuel qui aura su inverser la tendance, bien au contraire : selon l’Institut des politiques publiques, les réformes menées depuis 2017 ont conduit les 5 % de ménages les plus modestes à voir leur pouvoir d’achat fondre d’une trentaine d’euros par an, tandis que celui du 1 % les plus aisés a progressé d’environ 3 500 euros. Cruel constat, alors même que l’inflation actuelle touche d’abord les dépenses « contraintes » – énergie et prix alimentaires –, auxquelles les catégories populaires ne peuvent se soustraire. Résultat : la Bourse peut bien voler de record en record, le pouvoir d’achat est aujourd’hui devenu la priorité absolue des Français, selon un sondage de l’institut Ipsos, loin devant la santé, l’immigration ou l’environnement.
Pourquoi a-t-on alors l’étrange sentiment, à trois mois du scrutin présidentiel, que l’économie et la fiscalité restent au second plan des débats ? Quelles mesures, quelles grandes réformes voit-on poindre à l’horizon ? C’est notamment ce que déplorent les économistes Gabriel Zucman et Camille Landais, dont l’expertise sur les inégalités éclaire ce deuxième numéro de notre série sur les grands thèmes de l’élection. L’un est professeur à Berkeley, l’autre à la London School of Economics, mais, depuis leur vigie, tous deux livrent un regard perçant sur le modèle français et ses déséquilibres. Et avancent quelques propositions pour réduire le fossé entre riches et pauvres et préparer l’avenir, éducation et transition écologique en tête. Histoire de pouvoir, un jour, donner tort à Bertrand Guillot, qui dans son roman se désole : « Il est de petites victoires, des bastilles miniatures qui chutent ici ou là, mais les privilèges contemporains se portent plutôt bien. »
Les inégalités, un choix politique ?
Gabriel Zucman
Camille Landais
Les économistes Gabriel Zucman et Camille Landais partagent le constat que la politique d’austérité menée au long des trois derniers quinquennats est fondée sur une erreur de diagnostic et a nettement contribué à creuser les inégalités en France.
[Inégalités]
Robert Solé
À cause de cette fichue épidémie, leur pouvoir d’achat en a pris un sacré coup ! Les patrons des entreprises du CAC 40 n’ont touché en moyenne que 3,8 millions d’euros en 2020, soit 1 million de moins qu’en 2019.
A-t-on abandonné la question sociale ?
Vincent Martigny
Membre du comité éditorial du 1, le politiste montre comment la substitution du concept de catégorie socioprofessionnelle à celui de classe a profondément modifié le discours de la gauche, devenu moins structurel.