Le Secours catholique dénonce une aggravation de la pauvreté : 7 millions de Français auraient eu recours à l’aide alimentaire en 2020. Alors que la faute morale, la stigmatisation et la honte tendent à se substituer au délit juridique, comment ne pas songer à Brecht et à son Opéra de quat’sous : « La bouffe vient d’abord, ensuite la morale. » 

Je suis vieille.
Quand l’Allemagne s’est réveillée
On a réduit les allocations. Mes enfants
Me donnaient quelques sous de temps à autre. Mais je ne pouvais
Presque plus rien acheter. Les premiers temps
J’allais donc plus rarement dans les boutiques où je faisais avant
mes achats quotidiens.
Mais un jour je réfléchis et ensuite
Tous les jours je retournais chez le boulanger,
le marchand de légumes :
J’étais une vieille cliente.
Je choisissais avec soin les denrées
Je ne prenais pas plus qu’avant, pas moins non plus
Je posais le croissant à côté du gros pain,
l’ail à côté du chou ; c’est seulement
Quand on faisait mon compte que je poussais un soupir
Fouillais de mes doigts gourds ma boursette de cuir
Hochais la tête et avouais que je n’avais pas assez d’argent
Pour payer ces quelques emplettes. Et en hochant la tête
Je quittais la boutique, bien en vue des clients.
Je me disais :
Si nous tous qui n’avons rien
Ne nous montrons plus devant les étalages
On pourrait penser que nous n’avons besoin de rien
Mais si nous venons sans pouvoir rien acheter
On saura à quoi s’en tenir.

Traduit par Gilbert Badia et Claude Duchet, dans Bertolt Brecht, Poèmes 5 (1934-1941) © L’Arche Éditeur, 1967

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