Il y a l’émotion si forte, il y a la tristesse si profonde, il y a le soutien durable pour les proches et la solidarité avec tous les enseignants, parce que l’acte barbare contre ce professeur nous touche tous, au plus profond de nous-mêmes. Par sa décapitation, c’est une forme très profonde de sacralisation qui a été agressée.

L’école c’est la maison commune de la nation. Ce n’est pas le foyer familial, mais ce n’est pas non plus un espace public comme les autres. Entre l’intimité de la sphère privée et le monde du champ public, c’est une contrée protégée, respectée, où les enfants sont réellement libres, égaux, en devenir, prêts à accomplir chacun de leurs rêves. Nous avons tous, comme Albert Camus, « notre » monsieur Germain, celui ou celle qui nous a fait grandir, qui a fait ce que nous sommes aujourd’hui, même si à l’époque nous ne nous étions pas forcément rendu compte que nous ne pourrions jamais le ou la remercier à la hauteur de tout ce que nous lui devons.

Les actes terroristes de 2015, en janvier contre la rédaction de Charlie Hebdo et les clients de l’Hyper Cacher, en novembre au Bataclan et sur les terrasses, l’assassinat du père Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray en pleine messe un an plus tard, ces tueries et cette profanation d’une horreur indicible, ont conduit à une juste mobilisation intellectuelle et populaire.

S’il n’y a pas de gradation dans l’horreur, puisqu’« une vie vaut une vie » et que « quiconque tue une vie c’est comme s’il avait tué toute l’humanité » (Coran, sourate 5, verset 32), cet assassinat d’un professeur après sa classe est d’une particulière résonance. L’enseignant, dans la culture musulmane, vient juste après les prophètes comme prééminence et responsabilité. En effet, en l’absence de clergé dans l’islam sunnite, l’imam est « simplement » primus inter pares (premier entre ses pairs), dirigeant la prière tout en restant à égalité des autres fidèles ; l’enseignant, lui, c’est le passeur, le transmetteur, le sage. Celui, celle, qui fait découvrir la beauté de la capacité de se questionner, l’éclat de la discussion passionnée des idées, l’absolue nécessité du respect de l’opinion de l’autre, base de la démocratie. Le professeur, c’est celui qui s’attaque à la racine du mal, dénoncé par Averroès (Ibn Rushd) il y a plus de huit siècles : « L’ignorance mène à la peur, la peur à la haine, et la haine conduit à la violence, voilà l’équation. »

Face à ce nouveau choc, osons le dire, par lucidité, par égard pour toutes les victimes, nous devons suivre le devoir d’intelligence et de paix que nous ont confié nos professeurs. Soyons dignes de la grandeur de l’éducation reçue. Il ne s’agit bien sûr pas de minimiser le mal, ses risques et conséquences, car « ils ne passeront pas », mais d’être à la hauteur de ce moment grave, en se positionnant résolument vers le Bien, l’Autre, la Fraternité.

Certes, ces actes terroristes « ne sont pas l’islam ». Mais ils viennent de l’islam ! Avec le paradoxe d’avoir au XXIe siècle un monde moins croyant et plus religieux, nous devons travailler résolument, sans faiblesse, contre ce terrorisme qui a fait des centaines de milliers de victimes, et sortir de la confrontation entre l’islamisme radical et la haine antimusulmane qui s’autoalimentent. La tâche est immense, et aujourd’hui les citoyens musulmans doivent être les premiers pour permettre qu’ensemble, avec les meilleurs experts, théologiens, historiens, sociologues, enseignants et membres de la société civile venus de tous les horizons de pensée, ce combat soit réellement gagné.

La religion peut aider l’homme à comprendre sa nature, le pourquoi de sa présence sur terre, mais la question de la douleur, de la souffrance ou du mal reste un mystère. La complainte de Job est bien commune aux trois traditions monothéistes. La vie c’est accepter le débat, ne pas lire les Textes de manière littérale, comprendre l’universalisme et lutter contre les totalitarismes.

C’est pourquoi le questionnement, l’herméneutique, et le discernement, c’est-à-dire la transmission du vrai savoir, celui qui ne commence pas par les réponses péremptoires, sont si essentiels, quelle que soit notre croyance ou son absence. Toujours accepter la confrontation des idées et des croyances parce qu’il en va de la richesse de nos vies, ne jamais revendiquer l’élimination de celle ou de celui qui ne pense pas comme moi, parce que la mort de l’autre n’est jamais une bonne réponse. Et, en suivant Chantecler d’Edmond Rostand, que nous ont justement transmis nos enseignants, toujours se rappeler que « c’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière ». 

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