Nul n’a oublié la devise du duc de Sully, surintendant des Finances d’Henri IV, qui campait jadis par cette forte image la vocation agricole de notre pays : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, et les vrais mines et trésors du Pérou. » Il est vrai qu’au XVIIe siècle, l’essentiel du territoire et de ses richesses procédait de la terre. Une spécificité qui perdura jusqu’au mitan du XXe siècle, avec une répartition des atouts nationaux assez simple, voire simpliste : l’excellence industrielle pour la Grande-Bretagne (« ce socle de houille et de fer », professait André Siegfried) et pour l’Allemagne de la Ruhr, le génie du commerce pour les Pays-Bas, l’agriculture fondée sur une paysannerie nombreuse, besogneuse et experte pour l’Hexagone doté de sols riches et de climats variés, propices aux grandes cultures du Nord comme aux fruits et aux légumes du Sud, sans oublier une longue tradition d’élevage, de sélection et d’excellence agronomiques. Si bien qu’on n’est guère surpris d’observer qu’aujourd’hui, la France reste la première puissance agricole de l’Europe, leader entre autres de la production de blé tendre, dont elle exporte la moitié de sa récolte à travers le monde.

À y regarder de plus près, ce qui apparaissait il y a encore peu comme un atout doublé d’une saine allocation des ressources – vendre nos excédents alimentaires et importer à hauteur de nos besoins ce qu’on ne produit pas en suffisance – s’est révélé dangereux. Foin du libre-échange et des théories de Ricardo sur les bienfaits des avantages comparatifs (en un mot : se spécialiser dans ce que l’on sait produire, et acheter au meilleur prix ce que d’autres pays font mieux que nous). L’épidémie de Covid et la guerre en Ukraine sont passées par là, qui ont montré le danger de dépendre par trop de l’étranger. Les récentes tensions sur les acheminements de blé depuis la mer Noire et, de façon plus anecdotique, la pénurie de moutarde, due pour l’essentiel à une sécheresse au Canada (principal fournisseur de moutarde… de Dijon), ont sonné le signal d’alarme. La France suffit-elle à la France ? se demandait l’historien Fernand Braudel dans son grand œuvre, L’Identité de la France. Non, à l’évidence. Mais le plus inquiétant, c’est qu’elle risque d’y parvenir de moins en moins, en raison de choix stratégiques, économiques et agronomiques souvent contreproductifs, voire dangereux, de l’abus des pesticides à l’artificialisation à outrance des terres agricoles. Des solutions existent. Plus économes, plus respectueuses des cycles naturels. Et de notre santé. À condition de les mettre en œuvre sans tarder, et massivement, comme le suggère notamment le think tank Utopies dans sa note de février 2022 sur la résilience alimentaire, qui prône, entre autres, la valorisation des productions locales, des semences anciennes et de l’innovation. Pour que renaissent les « vrais mines et trésors du Pérou ». 

 

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