La politique agricole commune (PAC) est à la fois vitale pour les agriculteurs et sacrément malade. Par ses choix de subventions, elle détermine les grands traits de notre agriculture, orientant agriculteurs et territoires vers certaines cultures, certains modes de production. Elle a aussi un effet sur les prix des produits, donc sur les choix des consommateurs. Pourtant, elle ne prend pas en compte son propre impact sur le contenu de nos assiettes. Un exemple : elle vise la « sécurité alimentaire », c’est-à-dire la production d’un certain nombre de calories par habitant, sans pour autant chercher à garantir que ces calories soient fournies sous la forme d’aliments sains, locaux et diversifiés, ni qu’elles parviennent bien à tous les citoyens de manière juste – le nombre de personnes qui ont recours à l’aide alimentaire augmente d’ailleurs malheureusement d’année en année.

En outre, on enjoint aux Français de manger plus de fruits et légumes et moins de viande rouge, mais la filière bovine est celle que la PAC subventionne le plus, peu importe le type d’élevage. Résultat : un steak est artificiellement moins cher à la caisse du supermarché que ce qu’il coûte réellement. De même, le système alloue des aides en fonction de la taille des fermes et favorise donc les « grandes cultures », comme les céréales ou le maïs, plutôt que le maraîchage. Résultat : la France exporte du blé et importe des fruits et légumes. Pour la PAC, la production agricole n’est pas une source de nourriture, mais une marchandise comme une autre, bonne à échanger sur les marchés mondiaux. Cette politique agricole ne tient pas compte des vrais enjeux alimentaires ni des attentes des citoyens. Le bien-être animal, par exemple, ne constitue pas véritablement un critère de l’attribution des subventions, alors même qu’il représente une préoccupation sociétale croissante.

Autre défaut : la PAC favorise la production de masse, standardisée, destinée à être transformée par les filières agroalimentaires, plutôt qu’une alimentation fraîche, locale et de qualité. Comme l’a dénoncé un récent numéro de l’émission Cash investigation, Cerafel, qui possède la marque de légumes sous serres chauffées Prince de Bretagne, a bénéficié de près de 20 millions d’euros de subventions de la PAC, quand un producteur qui vit d’une ferme de moins d’un hectare ne dispose lui d’aucun soutien financier.

Nous sommes encore très loin d’une vraie politique agricole et alimentaire commune, à même de soutenir la production de l’alimentation de qualité 

Enfin, pour avoir un système alimentaire résilient, capable de s’adapter aux chocs comme celui de la guerre en Ukraine, il faut disposer de ses propres moyens de production. Or, la PAC pousse les agriculteurs à dépendre des intrants chimiques et de la technologie. Ceux-ci reçoivent, par exemple, des aides pour acquérir des épandeurs d’engrais ultraperfectionnés – ce qui ne les empêche pas d’avoir à s’endetter pour acquérir ces machines. Or, avec la pénurie d’engrais qui a fait bondir leurs prix, les producteurs se retrouvent sans moyens de maintenir leurs rendements ou réduits à creuser encore davantage leurs dettes.

À partir de 2023 s’appliquera une réforme de la PAC qui aura pris plus de quatre ans à être négociée. Celle-ci contient certes de très timides avancées vers une meilleure redistribution des aides entre agriculteurs et vers la protection des ressources naturelles, mais ces progrès sont largement insuffisants au regard des urgences sociales et environnementales auxquelles nous devons répondre dans les toutes prochaines années. Surtout, nous sommes encore très loin d’une vraie politique agricole et alimentaire commune, à même de soutenir la production de l’alimentation de qualité que nous voulons mettre dans l’assiette de tous nos concitoyens. 

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