VOUS DEMANDEZ : Y A-T-IL ENCORE UN RÊVE AU CINÉMA ? Le cinéma n’a été qu’un rêve, et comme il n’y en a plus beaucoup – de rêves, je veux dire – il n’y a pas beaucoup de cinéma. Depuis Lascaux et les ombres dans les caves de Platon, on a voulu du cinéma. Cette année, j’ai reçu mon coffret réglementaire de films pour le vote aux Césars. Cent trente films, et pensez, ce n’est que peu face aux plus de cinq cents produits par la France, année calendrier. Sur cent trente, je n’en ai vu qu’un qui m’attirât. Un sur cent trente, un sur sans doute cinq cents ? Une orgie de quoi ? De rien. 

Le film qui me fit un peu – un tant soit peu – plaisir, s’appelait Alceste à bicyclette. Bien que la trame me parût affectée, le jeu des acteurs me prit. Dernier espoir : les acteurs ? Tout le monde a eu ses acteurs sublimes. On peut y revenir. Mon frère, linguiste distingué, prétend qu’il ne voit avec plaisir que les films qu’il a déjà vus, et plutôt plusieurs fois. Le plaisir. Faudrait-il remplacer le mot « rêve » par le mot « plaisir » ? Et le mot « plaisir » par le mot « nostalgie ». Ou « sécurité », ou adolescence. 

« Le plaisir au cinéma est découverte, en arrière et en avant »

La découverte du cinéma en adolescence – comme toutes les autres – débouchait sur le plaisir ou la haine, en tout cas l’intransigeance. Dieu, comme on prenait feu pour les uns, on haïssait les autres. Le commerce, la bassesse, la stupidité, le mensonge. Mais Dieu que le mensonge d’amour passait bien. Ces corps, ces visages, ces énigmes, ces intrigues. Leçons à rattraper, découvertes à faire. Le plaisir au cinéma est découverte, en arrière et en avant. Deux courants dans la mer qui se frôlent et, en âge mûr, ne se combattent pas. 

Mon frère est plus jeune que moi, mais moi, j’attends les surprises de ce que je n’ai pas encore deviné. Il me paraît parfois que j’ai déjà tout deviné. Sauf la technologie. Le cinéma, n’est-ce pas, progresse, ou en tout cas avance par sauts technologiques. L’orthochromatique n’était pas le panchromatique, le muet le sonore, la couleur le noir et blanc. Et patati et patata. Par bonheur, ayant un œil dérangé par la première bombe qui tomba sur Lwów, ma ville natale, grâce à M. Hitler qui attaquait M. Staline son allié, et qui, lui, avait conquis ce territoire polonais en le prenant de concert, par bonheur donc je ne vois pas en 3D, et le cinéma a toujours été pour moi un écran plat. Dieu, si ça ne veut pas dire une platitude.

« Sans littérature, pas de cinéma »

Récapitulons : plaisir, rêve, nostalgie. Or, on siffla Fellini à Cannes, comme on hua Antonioni, et on nia tant d’autres. Les platitudes, sottes ou savantes, tristes à mourir ou gaies à vomir, s’amoncellent. Les cimetières de l’ennui, et du prévisible. Le rêve ? D’être surpris encore une fois, de continuer à l’être, d’aller d’adolescence en adolescence. Dans mon vieil âge qui n’a réussi à rien changer. Les amours comptent à nouveau quand elles comptent la surprise. Je vis à Varsovie, et les cimetières y sont fleuris. C’est même les endroits les plus colorés de la sinistre métropole.
On y fabrique moins de films, et je me demande par quelle aberration les gens paient leur place au cinéma, pour voir du martyrologiconational, -iste, du stupide et du quelconque. Oui, parce qu’on aime que les acteurs nous parlent dans notre langue, comme les Français en français. Nos stars, nos vedettes, nos lubies, nos talents. Ah, unetelle a surpris, un autre percé.

« La main du cinéma est toujours nue, quand elle est sincère »

L’avenir. Ce qui ne perce guère, ici ou là-bas, c’est la littérature. Oh, il y en a. Tout le monde tape sur des claviers, jamais nous n’avons été aussi lettrés. Plus d’analphabètes, mais maigre récolte. Or sans littérature, pas de cinéma. La clé serait-elle là ? Vous me demandez : rêver au cinéma. Je rêve de littérature. Des images, j’en ai plein la vue. Proust ou Tintin, où est, en vérité, la différence ? Proust fut mieux adapté par Raoul Ruiz, et Tintin canardé par Spielberg. Vous imaginez Tintin luttant à coups de grue portuaire avec l’infâme je-ne-sais-qui, personnage juste épisodique de la fine bande dessinée ? Au lycée, j’entendis un chanteur à succès, appelé, je crois, Dario Moreno, égrener
« Le jour où la pluie viendra / Nous irons / toi et moi… ». Où, je ne sais plus. Vers l’inconnu, ce serait bien. Le connu, triste. Mon frère aime Aragon, et il lui arrive de chantonner « Il n’aurait fallu qu’un moment de plus / Pour que la mort vienne / Mais une main nue / Alors est venue / Qui a pris la mienne… ». 

La main du cinéma est toujours nue, quand elle est sincère, même dans un gant de boxe, ou une plus précieuse mitaine. En première année d’IDHEC, je découvrais La Règle du jeu, puis j’allais sur les Boulevards voir Sissi dans une salle qui sentait le pou. Des années après, mon premier film français, je le fis avec Romy Schneider. On est dans un arbre perché. Sophie, avec qui j’ai fait quatre films, dans le premier disait « arbe ». Depuis, elle a appris. Ces derniers temps elle a appris une médiocrité : celle des cinq cents. Comment rêver un rêve perdu ? J’ai beaucoup cru au cinéma. Celui-là, là, est fait non pas par des imbéciles, mais des ratiboiseurs. Du sinistrement aguichant d’un côté, un cimetière festivalesque de l’autre. Ribouldingue et Filochard, où est le troisième larron ? Croquignol, si ma mémoire me sert. Je suis très pessimiste. On ne peut pas écrire la technologie. On peut mal faire de bons films sans littérature. Ni sans ces acteurs de rêve qui auraient en eux ce qui est au-delà des mots.

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