L’expérience de la salle, un plaisir collectif
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Le cinéma comme mode de consommation fictionnel a un très grand avenir. Son problème, c’est qu’il ne s’appelle cinéma que s’il est diffusé d’abord en salles. Un film fait avec peu de moyens a souvent une esthétique de téléfilm. C’est le public qui le consacre comme cinéma en se déplaçant en salles. Les Roseaux sauvages de Téchiné est devenu un film quand il est sorti sur grand écran alors qu’il avait été fait pour la télé. Même chose pour Ma vie avec Liberace, produit par HBO et sélectionné à Cannes : aux États-Unis c’est un téléfilm, dans le reste du monde c’est un film. Bien sûr, s’il présente une plus forte valeur ajoutée de production (moyens, effets spéciaux, 3D, etc.), il est sui generis destiné à la projection en salles.
Le distributeur Wild Bunch fait une expérience qui vaut d’être suivie attentivement : le film d’Abel Ferrara sur DSK sort directement en VOD à 7 euros sans passer par la salle. On économise l’argent de la sortie en salles et on le consacre à la promotion sur Internet. C’est peut-être un nouveau modèle, pour certains films. Malgré la progression du home cinéma, le cinéma en salle a de l’avenir. La salle, c’est une sortie : on va au cinéma comme on s’offre un moment de vacances. Paradoxalement, l’individualisation croissante des modes de consommation audiovisuelle a renforcé le besoin de collectif, de grégarité. Cet élan vers le rassemblement est le contrepoint d’un repli domestique plus fréquent. Il faut lire le livre indépassable d’Edgar Morin, Le Cinéma ou l’homme imaginaire (1956). Au cinéma, on est dans l’ombre, à un niveau primaire d’émotion : peur, rire... Alors que la télé est un meuble que l’on domine – la télécommande procure la maîtrise de l’outil, l’image vient vers le téléspectateur –, au cinéma, l’image vient dans le dos et vous projette vers l’écran. Le cinéma offre un plaisir hypnotique, narcotique. C’est l’art où l’on est le plus passif, le plus agi. Cette projection onirique satisfait un besoin humain fondamental d’abandon. Enfin, c’est une nouveauté statistique : la population cinématographique vieillit plus vite que la population globale. Les moins de 16 ans vont moins au cinéma, et les seniors davantage. Les jeunes regardent les séries américaines à la télé ou sur Internet, et ne vont au ciné que pour les gros films américains ou les comédies populaires. À court terme, c’est positif pour la diversité : un public plus adulte permet des films plus audacieux. La Vie d’Adèle n’aurait vraisemblablement pas fait un million d’entrées il y a quinze ans.
Mais le premier trimestre 2014 a été très décevant pour la production française, avec moins 30 % de mises en production alors que la fréquentation se redressait grâce à quelques comédies nationales et au tarif très dynamique appliqué aux moins de 14 ans. La France bat des records en matière de distribution (plus de 600 films par an, contre 450 à 500 aux États-Unis) et produit 250 à 300 films à majorité ou minorité française, contre 120 à 200 chez nos voisins européens de taille comparable.
Pour préserver l’avenir, il faut adapter le coût des films au résultat espéré dans une économie extrêmement aléatoire et avec une fréquentation qui se concentre. Par exemple, de l’ordre de 8 à 10 % des films catalogués « français » atteignent un million d’entrées et moins de 15 % en réalisent 500 000. Près des deux tiers ne dépassent pas 100 000. Le dernier film de Dany Boon a attiré 5 millions de spectateurs, et c’est tant mieux, mais il aurait perdu de l’argent s’il en avait attiré moins de 4 millions. Le problème essentiel est de savoir quel est le niveau acceptable de risque qui dicte la rentabilité macroéconomique de la branche.
Enfin, contre « l’auteurisme » des enfants de la Nouvelle Vague, je suis pour une plus grande division des tâches et un vrai travail en équipe. Tous les auteurs ne peuvent cumuler écriture du scénario et réalisation. Il faut savoir parfois laisser le scénario au scénariste et être fier d’apporter son talent à la seule réalisation. C’est le seul moyen pour le cinéma d’espérer rivaliser avec des séries télé de plus en plus audacieuses comme House of Cards ou Game of Thrones.
Propos recueillis par OLLIVIER POURRIOL
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