Tchad : Hindou Oumarou Ibrahim
Porter la voix des femmes autochtonesTemps de lecture : 5 minutes
En cette fin novembre 2024, Hindou Oumarou Ibrahim rentre toute juste de Bakou, en Azerbaïdjan, où avait lieu la COP29 sur le climat. Un petit répit avant de reprendre la route, direction Riyad, en Arabie saoudite cette fois-ci, à l’occasion de la COP16 contre la désertification. Militante écologiste, défenseure des droits des peuples autochtones et de l’autonomie économique des femmes au sein d’institutions internationales, Hindou Oumarou Ibrahim se bat depuis plus de vingt ans sur tous les fronts. Originaire de la communauté de nomades et semi-nomades des Peuls Mbororo, au Tchad, elle est très jeune sensibilisée à la question des inégalités qui touchent les peuples autochtones. « Dans ma communauté, en règle générale, on n’envoie pas les enfants à l’école dite occidentale. Mais ma mère nous a permis, à ma sœur et à moi-même, d’aller à l’école à la capitale », raconte-t-elle. Sur les bancs de l’école, à N’Djamena, Hindou découvre les discriminations : « On me disait que je venais de la brousse, on se moquait de mes origines autochtones. Mais j’ai compris que c’était un atout d’avoir ces deux cultures, ces deux identités », confie l’activiste. Des salles de classe, la jeune fille mesure une autre de ses chances : « À mon âge, les filles de ma communauté étaient souvent déjà mariées. J’ai réalisé alors que je ne pouvais pas me battre pour mes droits sans parler des droits des autres femmes. » Elle a seulement quinze ans lorsqu’elle décide de créer l’Association des femmes peules et peuples autochtones du Tchad (Afpat). Parler des droits des femmes, elle le comprend vite, c’est parler des droits de sa communauté, notamment de la préservation des savoirs traditionnels. Et défendre les droits des Peuls Mbororo, c’est aussi alerter au sujet du dérèglement climatique, qui affecte particulièrement le Tchad où de sévères inondations ont fait près de 600 morts entre juillet et octobre dernier et dont certaines zones, comme la région du lac Tchad, comptent parmi les plus touchées par le phénomène. « Tout est interconnecté : sur le terrain, on ne peut pas, comme à l’université, choisir une spécialité », martèle-t-elle. Cette vision multifactorielle se trouve ainsi au cœur des actions de l’association, qui se divisent en deux piliers : protection et promotion des droits de l’homme et des droits des peuples autochtones ; préservation de l’environnement.
Partir de la géographie d’un territoire, tenir compte des particularités locales, faire dialoguer les acteurs concernés… De la région montagneuse de Baïbokoum aux alentours du lac Tchad, Hindou Oumarou Ibrahim défend une approche spatiale et collaborative. Cela fait quelques années que la Tchadienne utilise, avec l’Afpat, des cartes participatives pour régler des désaccords communautaires, comme l’accès restreint et compétitif à des cours d’eau dans une région où l’avancée du désert est chaque année plus dramatique. Pour réaliser ces projets de cartes participatives, l’activiste associe connaissances scientifiques, outils technologiques et savoirs traditionnels : « J’imprime des images satellitaires de la région concernée datant de deux semaines maximum, avant d’aller dans les communautés en discuter avec les habitants, des nomades, des agriculteurs, des pêcheurs ou des éleveurs, qui les enrichissent de leurs connaissances. Ils nous disent où se situent les villages et les cours d’eau, les forêts primaires, les herbes médicinales ou encore les arbres sacrés… »
« Tout est interconnecté : sur le terrain, on ne peut pas, comme à l’université, choisir une spécialité »
Pour la cartographe, il est crucial d’impliquer systématiquement les femmes dans ces échanges. « Elles savent généralement où trouver l’eau pendant la sécheresse, où chercher la nourriture en cas d’inondation… C’est aussi l’occasion pour moi d’apostropher les hommes : “Vu l’expertise des femmes sur ces sujets, pourquoi ne pas discuter avec elles ?” » Ces outils permettent ainsi à des femmes autochtones de bénéficier d’un vrai droit à la terre. Sur la base de ces cartes, les différents acteurs rédigent des conventions, officialisant leur usage de certaines parcelles sur lesquelles les femmes sont formées à l’agroécologie, laquelle, en se combinant à la plantation d’arbres, permet de protéger la biodiversité locale et de restaurer les écosystèmes. En inscrivant les femmes dans cette dynamique de préservation de l’environnement qu’elle défend, l’Afpat entend les positionner comme des actrices incontournables dans l’élaboration d’une agriculture durable.
Pour leur permettre d’accéder à l’indépendance économique, l’association créée par Hindou s’investit également dans la transformation de produits locaux, soutenant par exemple la fabrication d’huile d’arachides dans un petit village de la région Mayo-Kebbi Est, dans le sud-est du pays. « Grâce aux machines que nous leur fournissons, des femmes qui autrefois broyaient deux kilos par jour à la main peuvent maintenant en broyer une dizaine voire une vingtaine, ce qui multiplie leurs revenus par dix ou plus ! Cela leur confère aussi une certaine autonomie dans la prise de décision : elles n’ont pas besoin d’attendre les hommes, partis cultiver des terres pendant de longues saisons », s’enthousiasme l’activiste. Grâce à l’argent gagné, ces femmes peuvent désormais envoyer leurs enfants, et surtout leurs filles, à l’école. Car pour assurer leur indépendance économique, Hindou croit fermement dans l’éducation des jeunes filles. « Dans une communauté à 400 kilomètres au sud de N’Djamena, nous avons construit une école et, en deux semaines, plus de 100 enfants, y compris plusieurs filles, y ont été scolarisés », se réjouit-elle.
Fidèle à sa culture nomade, Hindou Oumarou Ibrahim n’hésite pas à dépasser les frontières. À l’échelle régionale, elle a créé un réseau de femmes autochtones francophones qui rayonne au Niger, au Mali, au Burkina Faso, au Cameroun, au Bénin et au Tchad, afin de les aider à s’organiser et de suivre leurs projets. Au Niger, elle accompagne ainsi six groupements de femmes, à Agadez, à Iférouane ou encore à Ingall. « On a fourni à certaines d’entre elles des tricycles, ce qui leur a permis de mettre en place une boutique ambulante pour ravitailler d’autres communautés et percevoir des revenus. » Au Mali, en périphérie de Bamako, la militante informe des femmes réfugiées sur leurs droits et certaines activités qui peuvent leur générer des revenus, liées notamment à la couture. Des problématiques locales qu’Hindou Oumarou Ibrahim, également présidente de l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones depuis avril 2024, entend bien rendre visibles à grande échelle en faisant participer des représentantes de ces groupes à des événements mondiaux comme lors de la COP16 en Arabie saoudite. Car, elle en est intimement convaincue, les femmes autochtones vont continuer de jouer un rôle central face aux défis environnementaux qui nous attendent.


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