Ces chevelures rebelles qui décoiffent les mollahs
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C’est un cliché gravé à jamais sur nos rétines mémorielles. Une de ces images de rage et d’espoir dignes de l’insubordination des jeunes Iraniennes. Ce 2 novembre 2024, Ahou Daryaei, 30 ans, étudiante à l’université Azad de Téhéran déambule stoïquement en sous-vêtements à travers un essaim de badauds. Ses longs cheveux noirs dégringolent sur ses épaules, habillent son dos nu, formant comme un bouclier naturel face à la police des mœurs. Quelques minutes plus tôt, la jeune femme a été malmenée sur le campus parce qu’elle ne portait pas le maghnaé, foulard-cagoule obligatoire à l’université. Les insultes fusent. Sa veste est déchirée. Ébranlée, Ahou retire tout, ses habits, son pantalon, et se retrouve en brassière violette et culotte rayée face à ses détracteurs. Geste de colère ou acte prémédité ? À quoi pense-t-elle en dévoilant son corps ? Accusée de « troubles mentaux » puis arrêtée, avant d’être libérée quinze jours plus tard, est-elle consciente d’avoir ravivé la flamme d’une révolte capillaire qui anime les Iraniennes depuis quarante-cinq ans – et même bien avant ?
Loin d’être hérétique, sa mue est héroïque. L’affirmation évidente d’une volonté des Iraniennes de disposer par elles-mêmes de leur corps, leurs formes, leurs cheveux. Depuis le début du mouvement Femme, Vie, Liberté, né de la mort de Mahsa Jina Amini en septembre 2022 pour un hidjab mal porté, leurs chevelures interdites se sont transformées en tenues de combat. Elles s’échappent des foulards, bourgeonnent dans les cortèges de protestation, se nouent en queue-de-cheval sur les capots des voitures, tourbillonnent devant les feux de joie où brûlent les voiles abandonnés. Dans les salles de classe, des écolières aux longues tresses piétinent leurs fichus et font un doigt d’honneur au guide suprême, l’ayatollah Khamenei, leader d’une République islamique qui ne cesse de les brimer. Aux obsèques de sa mère, tuée par la police, une jeune fille s’est même affichée avec le crâne rasé, en brandissant comme un totem ses mèches coupées. Fin décembre, c’est en donnant un concert, tête nue dans un caravansérail vide, retransmis en direct sur sa chaîne YouTube, que la chanteuse Parastoo Ahmadi a repris, à son tour, le flambeau de la contestation. Écho métaphorique au slogan « Je me ferai nue jusqu’à ce que tu perdes la vue », souvent entendu au pic des manifestations.
Rien à voir avec la pseudo-déviance pornographique évoquée par les mollahs. Rien à voir, non plus, avec les miniatures persanes d’antan, dans lesquelles les mèches brunes et sensuelles faisaient office d’ornements. Femmes-objets. Femmes désirées plus que désirantes, que les peintres, majoritairement masculins, découvraient à leur guise. Avant que d’autres, plus tard, n’aspirent qu’à les recouvrir. Hors de question, évidemment, de céder à la comparaison. Ce que la République islamique impose aux femmes depuis son instauration en 1979 est un apartheid de genre, à la fois religieux et patriarcal, où le voile-prison symbolise toutes les autres interdictions : de chanter, de danser, d’accéder à certains métiers, comme celui de juge, de voyager seule sans l’autorisation de son père – ou de son mari. Mais si les actes de désobéissance civile se démultiplient malgré la répression, c’est parce qu’ils incarnent une détermination inédite des Iraniennes à imposer leurs propres choix face aux injonctions masculines de tous bords et de tous temps.
Loin d’être hérétique, sa mue est héroïque
En Iran, le rapport au voile est complexe, symbole des transformations orchestrées par les pouvoirs successifs. Interdit en 1936 par le monarque Reza Chah au nom de la modernité. Imposé par les ayatollahs au nom d’une pseudo-humilité. Quand l’un fit de son retrait l’étendard d’une occidentalisation à marche forcée, les autres en firent une obligation pour mieux contrôler la société. D’abord par un discours prononcé par l’imam Khomeyni. Puis par une législation liberticide, institutionnalisée jusque dans les écoles par la fameuse djachné taklif : une « fête des devoirs » contraignant les filles à porter le foulard dès l’âge de 9 ans sous prétexte que leurs cheveux « renferment une étincelle trop excitante » pour ces messieurs.
De ces restrictions vestimentaires moyenâgeuses, que leurs mères – plus soucieuses de se battre sur le terrain politique et législatif – n’ont jamais conçues comme une priorité, les Iraniennes de la nouvelle génération ont fait le socle de leur combat. Au foulard-sarcophage, elles opposent la joie, la fougue, la rébellion capillaire. Leurs chevelures sont des remparts contre la mort imposée. Elles incarnent l’élan vital. Souffle de vie. De survie. De renaissance aussi. Comme, en d’autres temps, celles de la légendaire Chehelguissou, « la femme aux quarante chevelures », qui selon un mythe bien connu, avait le pouvoir de reverdir les arbres morts dès qu’une de ses mèches frôlait les branches. Ou encore ces bouts de cheveux coupés qu’autrefois les veuves de la province de Fars enroulaient autour de leurs poignets pour les arroser de leurs larmes afin que le défunt renaisse un jour sous une autre forme.
Et si, par son geste frondeur, Ahou Daryaei n’avait fait que rejouer instinctivement les grands rites persans ?
Il est peut-être là, le caractère invincible de ce mouvement : un combat au nom de la vie pour corriger une longue anomalie. Soudain, le passé oblitéré remonte naturellement à la surface, réveillé par les sanglots féconds de toutes les mères et filles endeuillées ou malmenées.
Ahou, comme Mahsa, ou encore Parastoo, est l’héritière de cet espoir-là.
Son corps ne se négocie pas.
Ses cheveux ne se troquent pas.



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