« Aïe, on nous fait croire / que le bonheur c’est d’avoir / de l’avoir plein nos armoires… On nous inflige / des désirs qui nous affligent. » Qui n’a pas fredonné ces paroles de Foules sentimentales, chanson emblème d’une époque, qu’Alain Souchon distillait l’air de rien au début des années 1990, autant dire il y a une éternité. C’était encore le XXe siècle. Le numérique, Internet, les réseaux sociaux, les commandes en ligne d’un simple clic, Amazon, rien de tout ça n’existait, mais la fièvre acheteuse de la société de consommation décortiquée par le sociologue Jean Baudrillard battait déjà des records de température. Être, c’était déjà avoir. Quitte à se faire avoir. Les foules sentimentales avaient beau être en quête d’idéal, « attirées par les étoiles, les voiles, / que des choses pas commerciales », la réalité était tout autre, puisqu’il se dégageait des cartons d’emballage « des gens lavés, hors d’usage / et tristes et sans aucun avantage ».

Maintenant que vous avez bien en tête la chanson de Souchon (et son air lancinant qui va vous poursuivre le reste de la journée), autant dire que ce numéro du 1 sur l’injonction de consommation accrue – voire de surconsommation – au moment des fêtes de fin d’année nous démangeait. Non pour jeter la pierre aux consommateurs, parents, enfants, frères ou sœurs que nous sommes (presque) tous, fashion victims ou proies du matraquage publicitaire. Mais pour tenter de comprendre les ressorts d’un rituel qui confine souvent à l’overdose de cadeaux encouragée par une surenchère aux prix et aux quantités. Pierre Bourdieu l’a écrit jadis dans La Distinction, la consommation est un marqueur culturel et social. Mais consommer sans distinction, ou plutôt sans discernement, c’est d’une certaine façon ne plus s’appartenir, comme l’explique le sociologue Razmig Keucheyan. « C’est comme si une autre personne prenait le dessus sur la volonté du consommateur compulsif », observe-t-il, précisant que certains psychiatres préconisent, pour échapper à ces tentations, de faire ses achats accompagné d’un ami dont la seule présence fait prendre conscience des excès possibles… Mais ce n’est pas si simple. « Notre cerveau ne sait pas dire non à la tentation », nous dit Christophe André. Surtout quand la tentation est à répétition, à coups de pubs et de slogans qui savent nous trouver partout où nous sommes, via nos smartphones. Gâter les siens au nom de la tradition et de l’affection, sans céder à l’aliénation, voilà le chemin glissant du Père Noël sur son traîneau ! 

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !