Les 15-25 ans entretiennent-ils un rapport particulier à la sexualité et au genre ?

Tout dépend des milieux culturels et sociaux. Cela étant dit, j’observe une nette évolution jusqu’à l’université. J’ai des étudiants qui n’hésitent pas à se présenter comme non-binaires [personnes qui ne s’identifient ni de genre masculin ni de genre féminin], ce qui aurait été impossible il y a encore cinq ans. C’est bien sûr particulièrement le cas dans des milieux engagés, mais il semble que filles comme garçons rejettent l’ordre et les inégalités qui ont toujours prévalu entre femmes et hommes.

Quels sont les vecteurs de cette transformation ?

La première manifestation en est la prolifération d’un lexique, particulièrement sur les réseaux sociaux, qui témoigne d’une réflexion et d’une envie de se construire autrement. Une nouvelle langue s’est développée pour définir le genre ou la sexualité. C’est le sens du sigle LGBT qui s’est enrichi du Q (queer), I (intersexe), A (asexuel) et + pour désigner tous les autres, par exemple les personnes qui se questionnent sur leur sexualité, les alliés hétérosexuels ou les pansexuels.

Quel rôle a joué Internet ?

Chaque terme produit a été pensé par une personne, un collectif, et cela a pu se dérouler à travers un groupe Facebook. L’accessibilité de ces termes a été accrue par Internet dont le rôle est colossal. Quand on n’ose pas poser une question à son entourage immédiat, on se tourne vers les réseaux et vers des gens dont on pense qu’ils nous ressemblent. Les jeunes ont ainsi pu avoir accès à une base culturelle jusqu’alors inaccessible, sur les non-binaires notamment. C’est un moment particulier, tout à fait positif et inédit.

Qu’est-ce que cette jeune génération a de particulier ?

Elle a grandi à une époque où les militants LGBTQI+ étaient plus visibles, pas seulement à travers Internet mais aussi dans un univers culturel et médiatique où séries et cinéma ont diffusé ces questions auprès du grand public. Les mangas et dessins animés japonais ont joué un rôle important : les questions de genre et de sexualité y figurent toujours quelque part. Les personnes LGBTQI+ sont présentes, comme personnages principaux ou secondaires, sans être caricaturées ou stigmatisées comme par le passé. Cette génération a grandi avec des représentations d’une plus grande diversité. En 2007, un jeune garçon trans, Erwan Hénaux, participait à l’émission de télé réalité Secret Story et son secret était d’être trans. Des populations jusque-là marginalisées sont entrées dans le quotidien du grand public.

La culture a donc une influence directe sur le genre et la sexualité des jeunes ? 

Oui, on a vu apparaître toute une génération de blogueurs et de stars qui, en se définissant non-binaires, ont touché leurs propres fans. En cassant l’ordre des genres, les oppositions entre féminin et masculin, ils ont créé une révolution douce, pacifique et progressive. J’espère que cette génération sera capable de changer les choses de cette façon. Quand les générations précédentes ont voulu le faire, c’était sur le mode du conflit. Plus les causes féministes s’imposent, plus on discute de genre et de sexualité, plus en face il y a des résistances des groupes masculinistes ou autres.

L’arrivée de la jeune génération dans la vie active peut-elle encore accentuer le phénomène ?

J’aimerais que ces changements perdurent. Le plus étonnant, c’est que ces contre-cultures peuvent devenir mainstream parce qu’elles sont finalement communes, à un moment donné, à tout un tas de gens. Dès lors, elles se mettent à produire des normes que les générations suivantes repenseront autrement.

Ces changements viennent du monde anglo-saxon ?

Oui, il y a une hégémonie de la référence. Je suis moi-même obligée de me référer aux séries américaines, ce sont les plus connues. L’industrie culturelle américaine a une vraie force de frappe, de production, mais aussi de diffusion. En creusant, on se rend compte que depuis vingt ans, les telenovelas, du Mexique au Chili, mettent en scène des personnages LGBT qui sont parfois joués par les personnes concernées.

Quelles productions culturelles ont joué un rôle majeur pour les 15-20 ans d’aujourd’hui ?

Des séries comme Transparent ou Pose parlent à tous les publics, à tous les âges. The L Word, une série sur les lesbiennes et sur un garçon trans, a fait beaucoup parler d’elle à l’époque. Au cinéma, Girl a suscité des débats contradictoires, certains LGBT s’étant sentis presque traumatisés par cette histoire d’une jeune fille qui se mutile pour pouvoir être opérée. Lola vers la mer, un autre film belge qui s’appuie sur le lien entre une fille et un père, a été beaucoup mieux reçu.

Cette mutation a-t-elle une dimension politique ?

En partie, notamment à travers les « multi-militances ». Au sein des LGBT et en dehors, les uns luttent pour les autres. Cela peut concerner l’immigration, la cause écologique, le racisme, la surconsommation, les inégalités. Ces différents milieux militants tendent à se mélanger. Ce sont des approches à la fois intersectionnelles et consubstantielles. 

 

Propos recueillis par NICOLAS BOVE

 

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