Qu’appelle-t-on « troubles du spectre de l’autisme » (TSA) ?

Autrefois, on décrivait l’autisme et d’autres syndromes selon plusieurs catégories de diagnostic : autisme de Kanner, autisme atypique, syndrome d’Asperger, syndrome de Rett… Aujourd’hui, on tend plutôt à situer chaque cas dans un continuum, un spectre qui envisage l’autisme selon plusieurs dimensions coexistantes : les troubles purement autistiques d’une part et, de l’autre, les troubles parfois associés comme la déficience intellectuelle, l’épilepsie ou les troubles psychiatriques. Le noyau dur de l’autisme, lui, touche aux troubles de la communication et de la relation à autrui, ainsi qu’à des comportements stéréotypés et répétitifs.

Combien d’individus en France sont atteints par ces troubles ?

On pense à l’heure actuelle qu’il y aurait un enfant atteint pour cent naissances. C’est un chiffre en grande progression par rapport à ce qu’on envisageait par le passé, quand on parlait de l’autisme comme d’une « maladie rare ». C’est dû en partie à une amélioration du diagnostic, qui permet de repérer l’autisme dans ses manifestations les plus discrètes, notamment chez les très jeunes enfants ou dans le cas des formes légères d’autisme, qui ont longtemps été associées à d’autres pathologies. Mais on soupçonne également que des facteurs environnementaux contribuent à une augmentation de la prévalence de l’autisme, notamment certains perturbateurs endocriniens qui affectent le fonctionnement du système nerveux central. Cela reste encore hypothétique à ce stade, mais il semble bien que ce soit une cause probable de cette augmentation.

Où en est aujourd’hui la recherche sur les causes de l’autisme ?

Il y a un consensus scientifique international pour dire que l’autisme résulte d’un trouble du neurodéveloppement. Ces anomalies dans le système nerveux central sont en partie génétiques, mais aussi épigénétiques – des facteurs environnementaux révèlent la susceptibilité génétique et perturbent le développement de structures nerveuses encore fragiles. On ne pense plus, comme on a pu le faire autrefois, que l’autisme provient de troubles psychologiques ou psychanalytiques dus à une relation parentale, et notamment maternelle, contrariée.

Pourquoi la France a-t-elle mis tant de temps à battre en brèche l’hypothèse psychologique ?

La France est longtemps restée campée sur une approche psychanalytique, qui constituait l’idéologie dominante. Et si le mouvement vers une approche plus scientifique est lancé aujourd’hui, il existe encore des résistances fortes. Des professeurs continuent à enseigner la prééminence de la psychanalyse à l’université, nous ne sommes pas encore sortis de ces croyances. Il y a une grande inégalité pour les parents qui, selon leur situation géographique, ne bénéficieront pas de la même qualité de prise en charge pour leurs enfants, ou seront mêmes suspectés de les maltraiter s’ils cherchent des traitements plus scientifiques !

Que dit aujourd’hui la Haute Autorité de santé ?

Elle a livré, il y a quelques semaines, une série de recommandations très claires : un diagnostic le plus précoce possible, dès 18 mois, avec des tests standardisés, un bilan psychologique et neurobiologique et des entretiens avec la famille ; une prise en charge précoce également, privilégiant les approches cognitives, comportementales et développementales, afin de promouvoir les capacités de ces enfants à communiquer et s’adapter à leur environnement, mais aussi à développer leurs propres compétences. Car il ne faut pas résumer les personnes autistes à leurs seules déficiences. 

Faut-il abandonner toute approche psychanalytique ?

C’est une approche très fragile, car elle ne repose sur aucune preuve scientifique, et donc sur aucune thérapie validée. Mais cela ne signifie pas, en revanche, que des personnes autistes n’ont pas besoin de psychothérapie : elles peuvent souffrir de problèmes d’anxiété, de dépression, pour lesquels on peut les aider, surtout si elles ont un niveau intellectuel suffisant pour participer à la thérapie.

Peut-on envisager des traitements pour « soigner » l’autisme ?

Malheureusement, il n’y a pas vraiment de traitement de l’autisme. Les traitements médicamenteux sont seulement un recours pour certains troubles du comportement. Encore faut-il en faire un usage précis et modéré et n’y faire appel qu’une fois épuisées toutes les hypothèses. Par exemple, un enfant peut avoir des troubles du comportement parce qu’il n’a pas de moyen de communiquer ou parce qu’il ne comprend pas ce que l’on attend de lui. Il est évident que, dans ce cas, un médicament ne servirait à rien et serait plutôt dévastateur. Il faudrait plutôt apprendre à l’enfant un moyen de communiquer, ou utiliser des supports concrets pour lui faire comprendre ce que l’on veut qu’il fasse. Pris en charge à temps, tous les enfants progressent. Grâce aux approches développementales, on peut permettre à des enfants autistes d’évoluer et de s’intégrer à l’école, puis dans la société. Ce serait mentir que de dire que tous peuvent y parvenir : certains ont des troubles plus lourds, d’autres une déficience intellectuelle ou des troubles mentaux associés. Mais tous progressent et peuvent acquérir des outils de communication et d’apprentissage qui rendent leur vie plus simple.

Depuis 2005, la France a été plusieurs fois condamnée par le Conseil de l’Europe pour discrimination à l’égard des enfants autistes. Avons-nous depuis rattrapé notre retard ?

Plusieurs plans nationaux ont été mis en œuvre depuis 2005, avec de vrais efforts qui ont été menés. Mais le retard français est tel qu’il ne pouvait pas se résorber en quelques années. Un quatrième plan va être annoncé mi-avril, élaboré à l’issue d’une grande concertation nationale, et dont les grandes lignes, pour l’inclusion ou le diagnostic précoce, vont dans le bon sens. Mais ce qu’on ignore encore, ce sont les moyens budgétaires qui seront mis en œuvre, car les besoins sont immenses. D’autant qu’il existe encore de nombreux crédits alloués à des hôpitaux de jour qui promeuvent l’approche psychanalytique, contre la Haute Autorité de santé, et qui devraient être réorientés vers des structures aptes à accompagner correctement des personnes autistes. Ce sont des arbitrages compliqués mais nécessaires aujourd’hui.

On parle souvent des enfants, mais quelle est la situation pour le demi-million d’adultes autistes en France ?

Ils ont souvent fait figure d’oubliés. Le quatrième plan devrait mettre l’accent sur leur situation, en s’éloignant de la seule logique institutionnelle pour promouvoir une approche plus inclusive. Dans la sphère professionnelle notamment, si besoin avec un accompagnement, mais aussi dans l’habitat, avec des structures aménagées plus petites, pour quatre ou cinq personnes, qui pourraient permettre à ces adultes autistes de mener une existence plus proche de la vie ordinaire. Il y a des adultes autistes en France qui n’ont pas été diagnostiqués, et qui ont vu leur handicap s’alourdir au fil des années, avec des troubles du comportement de plus en plus graves, et qui se retrouvent souvent dans des structures psychiatriques lourdes, gavés de neuroleptiques. D’autres sont dans des lieux de vie, souvent montés grâce aux efforts de parents, où ils peuvent bénéficier d’un accompagnement plus adapté à leur état. Certains ont bien évolué, et arrivent à vivre de façon relativement autonome, malgré leurs difficultés. La plupart vivent sans aucune aide de l’État, alors qu’ils devraient y avoir droit. Et puis il y a des personnes dont le cas est sans solution, qui vivent souvent chez leurs parents vieillissants, avec des situations dramatiques.

Comment soutenir ces parents souvent livrés à eux-mêmes ?

Il y a plusieurs inégalités : inégalité territoriale, on l’a dit, inégalité dans l’accès à l’information, mais aussi inégalité sociale pour pouvoir accéder aux meilleurs traitements. Les familles les plus aisées pourront compter sur le soutien actif de professionnels, pour une somme allant jusqu’à 3 000 euros par mois, quand les familles les plus modestes ne bénéficieront que de quelques heures par semaine, avec un plafonnement des allocations pour personnes handicapées. Certaines se trouvent ainsi dans la détresse car elles n’ont pas les moyens de payer un intervenant, et doivent prendre en charge des enfants présentant un autisme sévère, qui devraient être soignés dans une institution. Il faut aujourd’hui pleinement soutenir ces familles, qui sont touchées par l’autisme, mais aussi avoir confiance en leur capacité à aider leurs enfants. 

Propos recueillis par JULIEN BISSON

 

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