Les clics, les livraisons express et autres « actions flash » rythment notre rapport paradoxal à Amazon. Malgré un site de commerce en ligne au design somme toute démodé et des suggestions relativement bancales, la tendance actuelle n’est en aucun cas à refréner ses achats sur la plateforme noir et orange au large sourire. Certains avancent que ses algorithmes, qui nous suggèrent en permanence des produits à acheter, seraient la cause de notre attachement consumériste à cet outil. Et de fait, Amazon sait et déduit beaucoup de choses de nous. Sans être passé de l’autre côté de la Machine, on peut facilement imaginer le type d’algorithmes que l’entreprise utilise sur son site. Les algorithmes de catégorisation classent par apprentissage machine les utilisateurs que nous sommes en fonction de similarités statistiques relatives à nos comportements, comme à nos types d’achats, à nos évaluations étoilées, ou encore au contenu de nos commentaires. Selon ces modèles, les personnes appartenant à une même catégorie achètent des produits analogues, ont les mêmes envies et évaluent de façon comparable leurs récents achats. À partir de cette catégorisation, Amazon nous suggère ensuite des produits que des personnes appartenant à notre classe ont aimés ou ont achetés, avec en théorie l’idée qu’ils vont nous plaire en retour.

Mais la catégorisation algorithmique a ses limites, comme le phénomène de « bulle de filtre », conceptualisé par le militant et entrepreneur américain Eli Pariser, qui empêche l’effet de surprise en nous orientant trop étroitement. C’est pourquoi votre libraire sera toujours meilleur que l’algorithme de recommandation d’Amazon. Il vous fera découvrir des œuvres nouvelles et surprenantes, en vous connaissant sur le bout du cœur. L’effet bulle se traduit également par l’existence de classes biaisées construites sur des représentations déformées de nos comportements, liées par exemple au genre. On peut ainsi imaginer qu’une personne qui a acheté un produit de maquillage se verra ensuite proposer des accessoires de cuisine.

En réalité, si asservissement à Amazon il y a, ce dernier est ailleurs, loin de la lumière bleue de nos écrans, dans l’ombre des entrepôts et l’éblouissement d’une logistique implacable. Là aussi, l’entreprise emploie bien des algorithmes, mais ceux-ci s’intéressent moins à nos personnes qu’à optimiser la logistique, le stockage, l’approvisionnement ou encore les livraisons. De là, Amazon tire sa capacité à livrer presque tout, partout dans le monde. Nombreux sont ceux qui, dans les coins les plus reculés des États-Unis, voire de France, bénéficient à raison de ces services. Sans Amazon, le confinement aurait été encore plus difficile pour ces personnes. Certaines petites et moyennes entreprises profitent également d’Amazon comme réseau de distribution. Sous un certain prisme, Amazon diminue ainsi les inégalités et augmente les chances de réussite économique.

Reste que derrière cette logistique, si finement conçue soit-elle, il n’y a pas que des algorithmes. Il se trouve toujours des individus en chair et en os qui décident de la stratégie. Il se cache, aussi, des hommes et des femmes qui travaillent, pour certains, dans l’ombre d’une gestion difficile. Troubles musculo-squelettiques, pression de toujours faire mieux, et productivité inconditionnellement croissante, les terribles conditions auxquelles sont soumis les travailleurs des entrepôts font couler beaucoup d’encre. Contre toute attente, notre dépendance à Amazon n’est pas algorithmique, mais bien humaine. 

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