« On ne protège bien que ce que l’on connaît bien. » Appliqué à l’océan, ce slogan est désormais sur toutes les lèvres, et il a pour lui les apparences du bon sens.
Toute recherche scientifique serait ainsi intrinsèquement vertueuse puisque de la connaissance qu’elle produit jaillirait logiquement la capacité de protéger un environnement menacé par une pression anthropique qui semble sans limites. Toute critique de ce slogan est susceptible d’être taxée d’« obscurantisme ». Une accusation fréquemment opposée aux populations autochtones lorsqu’elles s’élèvent contre le déploiement de programmes d’exploration de leurs espaces maritimes. Leur incompréhension des vertus de la science serait le reflet de « croyances » persistantes. Évidemment, cette première analyse, chagrine, est vite contrée, à son tour, par une seconde, enchantée, qui voit dans les savoirs des peuples autochtones un rempart solide aux noirceurs de l’industrialisation et du capitalisme : les peuples du Pacifique, « gardiens de l’océan ».
Les dichotomies qui sous-tendent ces visions, entre savoirs scientifiques et savoirs autochtones, science et politique, sont problématiques. La science est située historiquement et géographiquement, dépendante de moyens matériels et financiers privés et publics dont les flux obéissent à des agendas politiques. De même, il n’y a pas en soi de discontinuité claire entre savoirs scientifiques et savoirs autochtones : pensons aux savoirs de navigation acquis au cours des siècles par les peuples océaniens, qui incluent la connaissance des courants et des astres ; ou à leur identification – indirecte, elle – des monts sous-marins, connus comme lieux de pêche ou de concentration d’espèces symboliques comme les baleines.
Plus difficile est le cas des « croyances », classique antithèse du savoir scientifique. Par exemple, les Kanaks de Kanaky-Nouvelle-Calédonie voient dans l’océan le lieu de repos des âmes des défunts : des « chemins des morts » sont lisibles dans la géographie autochtone des espaces maritimes. Peu importe que les biologistes et les géologues ne puissent pas vérifier scientifiquement la présence des âmes des défunts au fond de l’océan ; puisqu’un groupe humain dit qu’elles y sont, il faut le respecter : c’est le principe du sacré, base d’une possible patrimonialisation de l’environnement, affaire de gouvernance plus que de connaissance. Les peuples autochtones réclament la souveraineté sur leurs espaces maritimes, à la fois espaces sacrés, de circulation, d’échanges et de vie.
Réfléchissons à cet autre slogan, envers obscur du premier : « On n’exploite bien que ce que l’on connaît bien. » Les progrès de la science ont aussi été générés ou instrumentalisés à d’autres fins que le bien universel – le bien industriel, par exemple. Dans ces interstices se glisse le doute raisonnable : les programmes d’exploration des abysses ont-ils une vocation scientifique ou économique ? Lorsque des ONG conservationnistes défendent le « non-usage » d’espaces maritimes, elles posent également une limite à la science et s’affirment comme des acteurs politiques, prônant une souveraineté alternative au nom de l’environnement.
Pour les populations autochtones, l’océan est avant tout une source et un lieu de vie : la science ne peut être protectrice si elle est pensée par des acteurs extérieurs, dont les liens potentiels avec d’autres parties prenantes, comme des acteurs industriels, sont parfois peu clairs. La question est donc politique et la science ne peut éviter le sujet en se prétendant neutre. Elle a besoin d’une politique guidée par un double souci de transparence et de dialogue.