Dans une biographie acclamée à l’international, Xi Jinping, l’homme le plus puissant du monde (non traduite en français), les deux journalistes allemands reviennent notamment sur la jeunesse du président chinois, marquée par la chute politique de son père, ancien compagnon d’armes de Mao, et l’humiliation de sa famille. Extrait.

 

La révolution culturelle de Mao est, dit-on, « dirigée contre les dirigeants qui suivent la voie capitaliste ». Cela semble étrange, car les vrais capitalistes et les grands propriétaires terriens avaient déjà été expropriés par la révolution de 1949, envoyés dans des camps de travail, fusillés ou exilés à Taïwan et à Hong Kong.   

Les nouveaux ennemis sont désormais des politiciens et des intellectuels communistes que Mao, dans sa paranoïa, considère comme des concurrents potentiels et qu’il accuse d’être des partisans du capitalisme. Il ne lui est donc plus possible de s’appuyer sur les enfants de ces politiciens. C’est pourquoi de nouvelles Gardes rouges sont formées, dirigées par des enfants d’ouvriers, afin de démanteler celles qui étaient en place.  

L’école du 1er-Août de Xi Jinping n’échappe pas à cette règle. Le 25 janvier 1967, 30 000 membres de ces nouvelles Gardes rouges encerclent l’établissement. Ils tabassent les enfants des fonctionnaires et en emprisonnent certains. L’école, déclarée « institution contre-révolutionnaire », est dissoute. Ils arrêtent également Xi Jinping. On lui reproche d’avoir dit du mal des Gardes rouges et de s’être ainsi opposé au président Mao. C’est à l’école centrale du Parti, où travaille justement sa mère, qu’il est présenté en public avec d’autres « ennemis ». Les spectateurs doivent se lever les uns après les autres pour le critiquer et le blâmer pour ses « erreurs ». Sa mère se trouve elle aussi dans la foule, condamnée à regarder sans pouvoir intervenir, au risque sinon de se mettre en danger. Les Gardes rouges enferment l’adolescent de 13 ans, sans le nourrir pendant plusieurs jours. Xi Jinping s’exprime rarement sur cette période, mais a déclaré dans une interview accordée à un magazine chinois en 2000 : « Les Gardes rouges m’ont dit des centaines de fois qu’ils allaient me tirer dessus. Ils ont menacé de m’exécuter, puis j’ai dû réciter des citations de Mao du matin au soir. » 

Pendant la Révolution culturelle, Qi Xin, sa mère, est invitée à prendre ses distances avec son fils et son mari et poussée à les dénoncer. Elle refuse. Bientôt, des tracts sont affichés sur les murs de l’école centrale du Parti, sur lesquels on peut lire, badigeonné à l’encre noire : « Qi Xin traîtresse ». Elle aussi est alors traînée à travers l’enceinte de l’école sous les huées des Gardes rouges. La biographie officielle chinoise de Xi Jinping ne décrit pas ces événements en détail, mais les confirme en termes généraux : « Pendant la Révolution culturelle (1966-1976), il a été victime de séances de lutte [c’est-à-dire d’autocritique et de critique publiques], a souffert de la faim, a été contraint de traverser le pays sans toit au-dessus de la tête, et a même été emprisonné. » […]

 

« Il a décidé de survivre en devenant plus rouge que rouge »

 

Mao ouvre ensuite une nouvelle phase de la Révolution culturelle. Il fait fermer toutes les écoles et les universités, exilant les jeunes des villes à la campagne pour qu’ils y soient « rééduqués par les paysans pauvres ». Xi Jinping doit lui aussi abandonner l’école. 

C’est là que commence le mythe héroïque de Xi Jinping, raconté aujourd’hui en Chine jusque dans les moindres détails : à l’âge de 15 ans, il est placé dans une brigade de production agricole au nord de la province du Shaanxi, dans le village de Liangjiahe, qui fait partie du district de Yanchuan, à près de 900 kilomètres de sa ville natale, Pékin. Il est envoyé à la campagne, comme les autres jeunes des villes, mais sa biographie officielle affirme qu’il a « postulé » pour s’y rendre « de sa propre initiative ». Cela n’est vrai que dans la mesure où il a choisi cette région du Shaanxi parce que des parents éloignés y demeuraient. Il subit néanmoins un véritable choc culturel. Au village, il n’y a pas de maisons, et il doit s’installer dans l’une des grottes dans lesquelles les paysans du Shaanxi vivent depuis des siècles. Il travaille dans les champs, transporte du charbon, creuse des barrages. « Il ne recule devant aucun labeur et doit endurer beaucoup de souffrances », soulignent les biographes chinois. « Au début, les puces du camp le piquaient tellement qu’il avait du mal à dormir. »

À la suite des souffrances que sa famille et lui ont subies, Xi Jinping se détourne-t-il pour autant du communisme ? On pourrait s’y attendre, ç’a d’ailleurs été le cas de beaucoup de gens de sa génération. Sa biographie officielle contient seulement une mystérieuse allusion, en une phrase, sans l’expliciter davantage : « À cette époque, il a une fois vacillé et tergiversé. » Que s’est-il passé ? Quelques mois après son arrivée dans le village, il parvient à s’échapper et à regagner Pékin. Là, il est rattrapé et emprisonné pendant six mois, […] à l’issue desquels il retourne au village.

Peut-être est-ce le moment clé où il décide de prendre un chemin différent de celui de beaucoup d’autres personnes au parcours similaire. « Parce que son père a été traité si cruellement pendant la révolution culturelle, son fils jure de ne jamais devenir comme lui », explique l’écrivain chinois Yu Jie. « Il prend Mao Zedong comme modèle parce qu’il ne veut pas connaître le même sort que son père. » Il ne veut pas non plus partager le destin de sa demi-sœur aînée Xi Heping, qui s’est suicidée à la suite de l’humiliation subie pendant la révolution culturelle. « Il a décidé de survivre en devenant plus rouge que rouge », déclarera plus tard à son sujet un dossier de l’ambassade américaine à Pékin. Il demande à adhérer au Parti communiste, mais sa demande est rejetée, probablement parce que son père a été condamné comme « déviant ». Au lieu d’abandonner, il essaie encore et encore, dix fois au total, jusqu’à être finalement accepté en 1973. 

 

Traduit de l’allemand par Lou Héliot, extrait de Xi Jinping, der mächtisge Mann der Welt © Piper, 2023

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