« Dans une guerre commerciale d’une telle ampleur, force est de constater que c’est le monde entier qui est perdant »
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Comment se porte l’économie chinoise actuellement ?
Impossible de brosser un tableau uniforme de la santé économique de la Chine, qui traverse à la fois de grandes difficultés et connaît des succès inédits. Ce que l’on peut dire, toutefois, c’est que l’économie chinoise se porte mieux qu’on ne le croit en Occident. À la sortie de la pandémie de Covid, qui a beaucoup restreint les déplacements physiques en Chine, on a été prompt à disséquer ses faiblesses : fragilités démographiques à cause du vieillissement de la population, difficultés structurelles du secteur de l’immobilier, qui a été l’un des moteurs de sa croissance pendant des années, et, en conséquence, ralentissement notable de sa croissance économique, qui contrastait avec la reprise robuste aux États-Unis. Ces fragilités sont bien réelles ! Mais on leur a accordé trop de poids, on a cru qu’elles allaient devenir une menace quasi existentielle pour l’économie chinoise. C’est pourquoi les puissances occidentales, en particulier les États-Unis, ont été si choquées par son retour en force fulgurant ces dernières années : comment une économie aussi fragile a-t-elle pu réussir le tour de force de l’IA Deepseek ? Devenir en deux ans le premier exportateur de véhicules électriques au monde ?
En effet, comment ?
En grande partie grâce à la planification économique élaborée par le Parti communiste chinois et Xi Jinping lui-même. Depuis son arrivée au pouvoir, Xi Jinping a travaillé à sortir la Chine de son rôle de manufacture d’objets à moindre valeur pour en faire un leader technologique. Le premier mandat de Trump, qui s’est accompagné d’une première série de sanctions économiques envers la Chine, a été un accélérateur. Xi Jinping a alors formulé des objectifs très volontaristes de résilience économique, de diminution de sa dépendance – en particulier aux technologies américaines – et de montée en puissance dans plusieurs domaines manufacturiers et industriels identifiés comme prioritaires. La pandémie, avec toute la rhétorique antichinoise, puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont rajouté une couche dans l’antagonisme entre Pékin et les puissances occidentales, renforçant la volonté de la Chine de n’avoir à compter que sur elle-même.
Le succès de cette planification est aujourd’hui manifeste : il suffit de voir ses accomplissements dans le secteur des batteries, des panneaux solaires, de la robotique, et dans tout ce qui tient aux technologies vertes ou à l’intelligence artificielle.
Quelle est la spécificité de cette planification ?
Il faut bien comprendre que l’économie chinoise a profondément accéléré sa transformation au cours des dix dernières années. Elle s’est mise à produire des objets de plus en plus complexes, technologiques, en très grande quantité. L’exemple le plus frappant est celui des voitures électriques : en quelques années, la Chine a été capable de mettre en marche un cycle d’innovation, de production et de distribution tellement efficace qu’elle sort un nouveau modèle par an, là où l’Occident en conçoit peut-être un tous les cinq ans.
« L’économie chinoise se porte mieux qu’on ne le croit en Occident »
Et tout cela tient à ses efforts d’intégration verticale. On a des compagnies qui détiennent toute la chaîne de production et d’approvisionnement de A à Z, souvent jusqu’aux bateaux qui vont acheminer les produits ! Dans le prolongement, le régime a soutenu ces dernières années la création d’écosystèmes de production complets, qui comprennent les transports, la formation des employés, leur logement, etc. Tout est organisé de manière à donner aux producteurs une force de frappe, une vitesse et un volume d’exportation proprement incroyables.
La Chine est-elle alors en passe de devenir la plus grande puissance économique du monde ?
On sait qu’elle est la première puissance manufacturière de la planète ; on lui doit plus du tiers de la fabrication de produits dans le monde – et cela pourrait monter à 45 % d’ici à dix ans. Mais la question qui empêche les dirigeants américains de dormir la nuit est la suivante : sera-t-elle capable de réellement surmonter et dépasser franchement la frontière technologique ? C’est-à-dire que, jusqu’à présent, plusieurs analystes pensent qu’elle est encore dans un modèle d’apprentissage accéléré et de réplication des innovations faites par les pays occidentaux. A-t-elle les moyens de sortir de ce schéma pour devenir un réel leader en matière d’innovation ? Le récent succès de Deepseek laisse supposer que cela est possible.
La frontière technologique est-elle son seul obstacle ?
Non. Il manque encore plusieurs choses à la Chine pour qu’elle puisse occuper un rôle plus dominant à l’international. Elle conserve des contrôles de capitaux. Son marché intérieur n’est pas ouvert, et ses échanges avec beaucoup de pays apparaissent déséquilibrés. Elle a également un déficit de soft power… Si bien que l’on se retrouve aujourd’hui dans ce que l’on appelle le « piège de Kindleberger », du nom du chercheur qui l’a théorisé. L’expression désigne ce moment où une puissance hégémonique déclinante – en l’occurrence les États-Unis – n’a plus les capacités de fournir les biens publics nécessaires à l’ordre international, tandis que la puissance émergente – ici, la Chine – n’a pas encore la volonté ou les moyens de prendre sa place. C’est une situation d’entre-deux qui nous rappelle l’entre-deux-guerres et qui peut avoir toutes sortes de débouchés. C’est pourquoi le monde nous paraît si incertain aujourd’hui.
Quelles vont être les conséquences de la guerre économique entre la Chine et les États-Unis ?
Pour comprendre ce bras de fer, et les dépendances mutuelles entre la Chine et les États-Unis, il faut analyser les données. En les regardant finement, on se rend compte que s’il existe une dépendance entre les deux pays, la Chine a bien davantage travaillé sur sa résilience économique que les États-Unis au cours des années passées, malgré les grands discours d’autonomie tenus par ces derniers. En 2000, la dépendance de la Chine aux importations américaines se situait autour de 25 % ; elle a été réduite à seulement 10 % en 2022. À l’inverse, la dépendance américaine a continué d’augmenter ces vingt dernières années, si bien que ce pays importe de Chine plus de 90 % des jouets et meubles, 70 % des ordinateurs, 40 % des smartphones, 70 % des terres rares… Au point que le président Trump a dû annoncer des exceptions pour plusieurs de ces produits dans ses nouveaux tarifs douaniers, faisant apparaître au grand jour toute l’ampleur de ce phénomène.
L’issue de ce bras de fer dépendra également de la résilience et du soutien de la population à la politique du régime. On observe déjà du côté américain une grogne croissante, qui risque de s’intensifier si la récession s’installe, alors que la population chinoise semble, elle, se ranger derrière le président et sa politique. Les prochains mois nous en diront plus !
La Chine a-t-elle d’autres partenaires vers lesquels se tourner ?
Pour ce qui est de la substitution de marché, la situation est elle aussi complexe. Depuis des décennies, l’offre chinoise s’est adaptée à la demande américaine. Les comportements des entreprises et des consommateurs se sont développés et façonnés en quasi-symbiose. Difficile, donc, de trouver des partenaires pour compenser entièrement la demande américaine. Toutefois, il faut souligner que les États-Unis se sont lancés dans une guerre commerciale avec presque toute la planète, là où la Chine tente de se positionner comme partenaire économique stable à travers le monde. Là encore, la Chine semble disposer d’un certain avantage. En effet, même si elle ne trouvera pas en Asie du Sud-Est ou en Afrique des consommateurs ayant le même profil que les Américains, elle a un œil sur le potentiel de croissance futur dans le Sud global.
Toutefois, dans une guerre commerciale d’une telle ampleur, force est de constater que c’est le monde entier qui est perdant. Le plus gros risque, à mes yeux, de cette approche agressive des États-Unis, c’est d’empêcher toute discussion rationnelle, sensée et nécessaire sur les déséquilibres du commerce chinois par rapport au reste du monde. Si l’on n’est pas capable de tous s’asseoir autour de la table et de négocier un nouveau « contrat économique et social » pour un réajustement de la place de la Chine dans l’économie mondiale pour ce deuxième quart du xxie siècle, on court à la catastrophe.
Propos recueillis par LOU HÉLIOT


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