Un monde rétréci
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Était-ce une illusion ? Depuis un demi-siècle, l’idéal d’un monde sans frontières avait essaimé. Nous étions tous censés vivre dans un univers ouvert et lisse, libre patinoire où nous pouvions glisser sans risque d’un pays à l’autre, d’un continent l’autre. Nous circulions dans la plus grande innocence, sur les pas de ceux qui furent les pionniers de ce rêve collectif, dans un tout autre contexte politique : Médecins sans frontières, ONG fondée en 1971 ; Reporters sans frontières, créée en 1985…
Toute la question est de savoir si cette période n’était qu’une parenthèse, définitivement refermée pour revenir au monde d’avant, ou si nous nous dirigeons vers de nouvelles frontières et lesquelles. C’est l’objet de ce numéro du 1. Au moment où chacun d’entre nous fait l’expérience du confinement, nous avons voulu explorer plusieurs facettes de cette notion clé. La frontière qui sépare deux États comme celle qui peut séparer des groupes humains ou simplement isoler une personne. Ainsi la romancière Julia Deck livre ses observations comme autant de choses vues, mais dans le périmètre cadenassé d’une capitale rétrécie. Le sociologue François Dubet analyse les nouvelles lignes de démarcation entre les jeunes générations et les anciennes, et note que les plus de 70 ans constituent comme jamais un groupe singulier, pour ne pas dire à part. Autant de barrières entre les classes d’âge encore inenvisageables il y a quelques semaines.
Il y a donc des frontières redoutées et des frontières désirées. « La fonction première d’une frontière, c’est de protéger », rappelle le géographe Michel Foucher dans l’entretien qu’il nous a accordé. Cette limite n’est ni bonne ni mauvaise en soi, c’est un instrument qui dépend de ce que l’on en fait. La pandémie de Covid-19 rappelle brutalement les bénéfices que l’on peut en attendre en matière de santé publique. Devant la menace du virus, afin de casser la chaîne de contagion, les États ont refermé leurs portes. Une moitié de l’humanité est assignée à résidence. Les deux grands vecteurs de la mondialisation – les avions et les conteneurs – sont à l’arrêt. Notre reporter Manon Paulic brosse le tableau de ce que représente et coûte un monde sans avions. Combien de temps vivrons-nous dans ce monde figé ? Combien de temps subirons-nous le carcan d’un monde rapetissé sur lui-même ? Trois mois ? Six mois ? Un an ? Nul ne connaît la réponse. Formuler cette question aurait paru fou il y a encore quelques semaines.
« Les frontières ont toujours eu une fonction prophylactique »
Michel Foucher
La résurgence des frontières dans une optique sanitaire est-elle inédite ?
Non, c’est une pratique ancienne pour prévenir les épidémies. Pendant des siècles, les…
[Passoires]
Robert Solé
Depuis 1945, le nombre des États a quadruplé, en raison de la décolonisation et de la fin de la guerre froide. La carte du monde s’est couverte de frontières. Elles ne sont pas toujours logiques, mais on se garde d’y toucher…
Un monde sans avions
Manon Paulic
Le ciel s’est vidé de ses oiseaux d’acier. Lundi 13 avril, soit trois mois après que le Covid-19 eut entamé son tour du monde en partance de Chine, l’espace aérien ne comptait plus que 3 777 avions, contre 15 760 l’année précédente au même instant. Une chute vertigineuse de…