Si nous vivons sur une planète couverte aux trois quarts d’eau, l’eau douce demeure une denrée rare, qui ne représente que 2,8 % du volume d’eau global. Avec une population mondiale en constante augmentation, des besoins en eau multipliés par six en seulement un siècle et des risques de sécheresse estivale de plus en plus importants, il nous faut économiser cette ressource précieuse.

Bien sûr, la part de la consommation d’eau domestique (environ 21 %) paraît bien dérisoire en comparaison de celle de l’agriculture (45 %) ou de l’énergie (30 %), et il revient avant tout aux grands consommateurs d’engager des changements structurels pour raisonner leur utilisation. Mais des économies au niveau individuel sont également possibles : « Aujourd’hui, un foyer français consomme en moyenne 120 m3 d’eau par an, explique Hélène Michaux, directrice des interventions et du programme à l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. En prenant conscience de la préciosité de l’eau, en adoptant quelques petits gestes simples et en ajustant nos équipements, nous avons la possibilité d’économiser jusqu’à 50 % de notre consommation. »

 

À LA MAISON

Dans le monde, on consomme en moyenne 137 litres d’eau potable par jour et par personne, et 148 litres en France. Fait étonnant, seul 1 % de cette eau potable est bu. Plus des trois quarts servent en effet à l’hygiène corporelle, à la chasse d’eau, au lavage du linge et de la vaisselle.

Il y a là une certaine « aberration », souligne Hélène Michaux : en effet, cette eau est prélevée, traitée pour être rendue potable, puis traitée à nouveau pour retourner dans le milieu naturel.

Un robinet ouvert, c’est en moyenne 12 litres par minute

Mieux vaut donc éviter le gaspillage. Comment ? D’abord, en pensant tout simplement à couper l’eau dès que possible lorsqu’on se brosse les dents ou qu’on se savonne. Un robinet ouvert, c’est en moyenne 12 litres par minute. En privilégiant également les douches courtes, de cinq minutes, qui ne consomment qu’une cinquantaine de litres contre 150 pour un bain, en lavant sa voiture avec une éponge et un seau (20 litres) plutôt qu’au jet (200 litres)… Ensuite, en faisant la chasse aux fuites. Un robinet qui fuit peut gaspiller jusqu’à 120 litres d’eau par jour, et une chasse d’eau jusqu’à 600 litres, soit la consommation quotidienne d’une famille de quatre ! Il suffit pour les surveiller de vérifier régulièrement que les chiffres du compteur n’ont pas bougé pendant la nuit.

Il est nettement plus économique d’utiliser un lave-vaisselle que de nettoyer à la main

Un équipement adéquat et son bon usage peuvent également aider à faire des économies substantielles. Prenons l’exemple de la vaisselle : si cela peut paraître contre-intuitif, il est nettement plus économique d’utiliser un lave-vaisselle que de nettoyer à la main. Une machine réutilise en effet plusieurs fois la même eau, et ne consomme ainsi en moyenne que 10 à 20 litres, contre 50 litres si l’on fait la vaisselle à la main, sous le robinet. Si l’on prend garde à éviter les prélavages inutiles, à recourir aux cycles courts ou éco, et à remplir le lave-vaisselle ou le lave-linge au maximum pour limiter le nombre d’utilisations, on économisera chaque jour des dizaines de litres d’eau potable.

Dans la salle de bains, qui concentre à elle seule 60 % de la consommation domestique, plusieurs ajustements peuvent aider à réguler la consommation : installer un pommeau de douche qui limite le débit du jet économisera jusqu’à 75 % d’eau. Les « mousseurs », qui injectent de l’air dans les robinets sans en baisser la pression, peuvent réduire la consommation d’eau de 30 à 50 %. Quant à la chasse d’eau, qui est responsable de 22 % de notre consommation domestique, une simple bouteille ou tout autre objet volumineux placé dans le réservoir suffira à réduire la quantité utilisée.

 

AU JARDIN

Jardins et potagers représentent en moyenne 6 % de notre consommation, alors même qu’ils sont particulièrement propices à la réutilisation de l’eau, qu’elle soit ménagère (récupérée dans une bassine lorsqu’on se lave les mains ou que l’on attend que l’eau de la douche chauffe) ou de pluie. Un collecteur de pluie installé sous les gouttières d’un toit de 100 mètres carrés vous permettra ainsi de récupérer jusqu’à 70 m3, soit 70 000 litres d’eau « gratuite » par an ! Jardins et potagers se prêtent également à une consommation d’eau « raisonnée ». Pour éviter que l’eau ne s’évapore trop vite, il est préférable d’arroser tôt le matin ou tard le soir, et de pailler le pied des arbres et plantations afin de maintenir l’humidité plus longtemps. Biner la terre autour des plants du potager permettra également de favoriser la pénétration de l’eau dans le sol.

La France est le deuxième pays le plus équipé en piscines au monde

Autre poste important de consommation : les piscines privées. Avec plus de trois millions de bassins, enterrés ou hors-sol, la France est le deuxième pays le plus équipé au monde, après les États-Unis. Aux beaux jours, on peut la couvrir pour éviter l’évaporation ainsi que les salissures qui exigent de recourir aux produits chimiques. Et en fin de saison, pas besoin de vider tout le bassin : le couvrir et renouveler un tiers de son contenu suffit normalement à conserver la propreté de l’eau. Compter tout de même 15 m3 d’or bleu pour un bassin moyen (de 8 mètres sur 4), soit plus de 10 % de la consommation annuelle d’un foyer français.

 

DANS NOTRE CONSOMMATION

La partie immergée de l’iceberg, c’est ce que l’on appelle l’« empreinte eau de consommation », c’est-à-dire l’eau douce qui sert à produire les biens que nous consommons. À titre d’exemple, l’« empreinte eau » d’un verre de lait prendra en compte l’eau nécessaire à faire pousser l’herbe qui a nourri la vache, ainsi que celle utilisée pour irriguer le soja importé qu’elle a consommé. Selon ce mode de calcul, chaque habitant de la France a en réalité une empreinte eau de 1 875 m3 par an, soit plus de 5 000 litres par jour.

Pour faire baisser notre empreinte, il faut d’abord se pencher sur notre alimentation, en particulier lorsqu’elle comporte beaucoup de viande rouge. En effet, la viande représente plus d’un tiers de l’empreinte eau de nos aliments, suivie par le lait (10 %) ainsi que le café et le thé (10 % à eux deux). En comptant l’abreuvement des bêtes, l’irrigation des cultures qui les nourrissent et le fonctionnement des bâtiments, l’empreinte eau d’un kilo de bœuf est de 500 à 700 litres d’eau selon l’Inra, et atteint même les 15 000 litres si l’on inclut la pluie qui a arrosé l’herbe broutée par l’animal.

Au-delà de l’alimentation, ce sont aussi nos vêtements qui font exploser notre consommation d’eau

Au-delà de l’alimentation, ce sont aussi nos vêtements qui font exploser notre consommation d’eau, en premier lieu ceux en coton. Si cette fibre peut sembler à première vue plus écologique que les matières synthétiques, elle est en vérité l’une des plus grosses consommatrices d’eau – jusqu’à 5 263 litres utilisés pour produire un kilo de coton ! Une surconsommation d’autant plus dangereuse qu’elle affecte directement des pays producteurs qui sont eux-mêmes pauvres en eau. À cause du détournement de ses affluents vers les champs de coton, la mer d’Aral, un lac d’eau salée situé à la frontière du Kazakhstan et de l’Ouzbékistan, a par exemple perdu les trois quarts de sa surface en cinquante ans, avec des conséquences dramatiques sur l’environnement. Pour limiter notre empreinte eau liée au coton, nous pouvons donc privilégier les vêtements d’occasion, le coton écologique ou labellisé environnemental, les fibres recyclées, ainsi que les matières moins dépendantes en eau comme le chanvre ou le lin, dont la France est le premier producteur mondial. « Là, le consommateur a vraiment un rôle à jouer », souligne Marillys Macé, directrice générale du Centre d’information sur l’eau, fondé par les entreprises de services d’eau et d’assainissement. « Pourquoi ne pas indiquer sur les biens de consommation le volume d’eau qu’a requis leur production, un peu à la manière du Nutriscore ? »

 

EN COLLECTIVITÉ

Pour impulser des changements à plus grande échelle, on peut également interpeller les acteurs importants : collectivités locales, municipalités… Il est tout à fait possible d’écrire à votre maire ou à votre élu pour demander d’arrêter l’arrosage automatique, de limiter le nettoyage de la voirie, de désimperméabiliser les villes, d’installer des récupérateurs ou de planter des arbres et des jardins qui vont retenir les eaux de pluie… Mais là où les municipalités et les collectivités peuvent réellement faire la différence, selon Marillys Macé, c’est dans l’inspection et l’entretien des systèmes de tuyauterie. « S’ils peuvent réussir à limiter les fuites d’eau sur leur réseau, ce sera déjà un gain énorme ! »

Partout en France, communes et collectivités relèvent le pari : en Pyrénées-Orientales, la commune d’Err, subventionnée par l’Agence de l’eau, a renouvelé ses canalisations, avec à la clé une économie de 15 000 m3 d’eau potable par an. Dans les Vosges, la commune de Serécourt, qui gère son service d’eau potable en régie, fait remplacer l’ensemble de ses canalisations, pour une économie de 4 765 m3 par an sur une nappe phréatique stratégique.

En Ardèche, les collectivités proposent aux habitants du bassin-versant d’acheter à prix très réduits des équipements économiseurs d’eau (mousseurs, récupérateurs d’eau de pluie…). La ville de Nantes, quant à elle, accompagne les particuliers qui en font la demande dans leur projet de construction et de rénovation pour intégrer la gestion de l’eau de pluie. « Il y a déjà beaucoup d’initiatives en cours, se félicite Hélène Michaux, mais il faut persévérer. »

 

EN ENTREPRISE

Qu’elles soient industrielles, agricoles ou de service, les entreprises ont un rôle important à jouer pour réduire les prélèvements d’eau dans le réseau – et peuvent bien souvent toucher des subventions pour cela. Comme à la maison, les robinets des sanitaires peuvent être équipés de mousseurs et les douches des hôtels de pommeaux économes. Mais les projets « hydro-économes » peuvent aller bien plus loin. Au siège de Bouygues, en région parisienne, l’eau de pluie est récupérée et légèrement filtrée par des plantes afin d’alimenter les chasses d’eau et d’arroser les espaces verts. Dans le Morbihan, à la suite de la sécheresse de 2017, la préfecture a initié un programme de sensibilisation et d’accompagnement de soixante-dix entreprises, d’un hôtel à des PME agroalimentaires, en passant par un port de plaisance.

La priorité est la chasse aux fuites, avec des prestataires spécialisés dans leur détection. « Je préconise aussi de limiter la pression dans le réseau, indique Luc Guymare, qui pilote ce projet Ecod’O à la chambre de commerce du Morbihan. Avec 1,5 bar au lieu de 3 bars, moins d’eau coule au robinet mais cela répond tout de même aux besoins d’un camping. Pour le réseau de nettoyage d’une usine agroalimentaire, en revanche, on va conserver une pression forte, mais adapter les buses des tuyaux. »

Vient ensuite la sensibilisation des salariés ou des clients. « On considère que cela permet d’obtenir 5 à 10 % d’économies : former les équipes de nettoyage à ne pas sur-rincer, par exemple, ou afficher chaque semaine la consommation d’eau de l’entreprise, en expliquant aux salariés que c’est l’équivalent de la consommation de telle ou telle ville », poursuit Luc Guymare. Dans l’entreprise de nourriture pour animaux Diana Petfood, la motivation est même financière : les économies d’eau chaude réalisées lors du nettoyage font partie des critères pour calculer l’intéressement des trois cents salariés.

Résultat : un an après leur période d’accompagnement, les trente et une premières entreprises du programme Ecod’O avaient économisé 500 000 m3 d’eau au total, soit 10 % de leur consommation d’origine. La société chimique Guerbet, qui fabrique des produits de contraste pour l’imagerie médicale, est allée jusqu’à créer son propre dispositif de traitement des eaux. Le liquide ainsi recyclé sert au refroidissement de l’incinérateur du site et évite de pomper 30 000 m3 par an dans le réseau. « Quand les entreprises se saisissent du sujet, les résultats sont impressionnants, s’enthousiasme Luc Guymare. C’est très méconnu mais l’agence de l’eau Loire-Bretagne peut subventionner ce genre d’investissements vertueux. Cela fait partie de sa mission de service public pour que la ressource soit préservée. » Au vu du succès de la démarche morbihannaise, le programme doit être étendu aux quatre départements bretons en septembre. 

 

LOU HÉLIOT & HÉLÈNE SEINGIER

 

Vous avez aimé ? Partagez-le !