Où se réfugier ? Lorsque votre vie est attaquée, que les lieux habités tremblent sous les forces hostiles, lorsque chez soi devient une tombe, où trouver le refuge ? Alors que les États imposent leur force, leur puissance, dans la délimitation de territoires et la connaissance des foules par la statistique, la science de l’État, l’hospitalité a donné hôtel et hôpital, d’un même tenant, et on aimerait avoir cette qualité collective : savoir accueillir et soigner qui cherche le refuge. La notion est ancienne, la tradition partagée : sait-on qui vient ainsi frapper à la porte ? Comment ne pas s’ouvrir à celui qui est, peut-être, porteur d’un message, d’une bénédiction, voire d’une protection divine ? Réduits à la question des masses, perçus comme l’accueil d’individus en nombre, inscrits dans des flux de population, l’hospitalité et son corollaire, le refuge, ont perdu cette ouverture aux êtres singuliers, habités par les mondes qu’ils ont dû quitter.

On s’interroge sur la perte induite par cette position qui garde les ­réfugiés à l’extérieur des frontières : la richesse de lignes du monde apportée par le malheur de ces humains, que nous pourrions recueillir, accueillir, cueillir, et faire éclore de nouveau. Les réfugiés sont des trésors, et leur situation transitoire devient perpétuelle : or le refuge n’a pas vocation à être un état, mais plutôt un moment, comme pour se réchauffer après le froid. Il nous manque cette pensée, où l’on échappe à la volonté de connaître et d’administrer pour ­retrouver cette idée de l’inconnue, de l’étranger, porteuse d’une ­inflexion originale, d’une ouverture, d’une perspective, de naissances, de fertilités, de connaissances, de relations nouvelles. Simplement, de visions du monde différentes. Cette figure du « prochain », si essentielle aux écrits bibliques, en sommes-nous porteurs ? Face aux fermetures guerrières du monde actuel, cette pensée ancienne ne se ­rappelle-t-elle pas à nous ?  

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