Irakiens, Syriens, Iraniens... ils ont fui leur pays dans l’espoir de rejoindre l’Angleterre. Nous avons rencontré Hassan, Adam et Jamileh (les prénoms ont été modifiés) dans les camps de migrants de la banlieue de Dunkerque.

Il est midi, c’est l’heure du déjeuner au camp de migrants de Grande-Synthe (Nord). Le camion de Salam, une association consacrée à l’aide aux migrants, s’engage sur un chemin boueux menant à un vaste terrain vague. Des hommes convergent vers le fourgon, une armée silencieuse, visages impénétrables, cheveux de jais. Les tenues sont élémentaires : doudounes, jeans, sweats à capuches et, bien souvent, tennis éculées. Certains migrants interpellent les bénévoles de l’association, réclament des chaussures et des couvertures. 

À Grande-Synthe, ils sont nombreux à venir d’Irak, de Syrie et d’Égypte. Une mère et son enfant ont préféré rester à l’abri de la pluie dans le conteneur occupé par la famille. La femme est enceinte de huit mois, elle est Kurde, vient d’Irak. Je tente un contact, elle me retourne un sourire qui veut dire non. Pas de questions. Elle se tient sur ses gardes, comme d’autres, par exemple ce jeune homme de 28 ans venu de Falloujah en Irak, une ville tombée aux mains de l’organisation État islamique. « Il faudrait des mois pour raconter mon histoire », me dit-il avant de disparaître. 

Hassan, lui, n’est pas avare de confidences. Ce jeune Syrien de 26 ans s’exprime dans un anglais impeccable. Il vient d’arriver dans le camp après avoir fui Calais : « Trop de monde, trop de violence, trop de policiers. » Son périple a commencé il y a trois mois, lorsqu’il a quitté la Syrie, laissant derrière lui un oncle. C’est en Égypte, à Alexandrie, qu’il s’est embarqué pour l’Italie. « J’ai payé le prix fort pour un bateau solide avec peu de passagers à bord, mais le passeur m’a escroqué. Je me suis retrouvé entassé avec six cent quinze autres migrants, des Soudanais, des Égyptiens, des Irakiens… En montant sur le bateau, je savais que c’était quitte ou double. Vous n’imaginez pas ce que c’est, huit jours en mer dans ces conditions. Les gens meurent pendant la traversée… »

En Angleterre, sa mère, son frère et sa sœur l’attendent. Une fois de l’autre côté de la Manche, il espère poursuivre ses études d’économie, trouver du travail et rassembler l’argent nécessaire pour faire venir sa femme restée au Caire. « Si c’était à refaire, je resterais en Syrie », conclut-il.

C’est au camp de Téteghem, à quelques kilomètres de ­Dunkerque, que le camion de Salam poursuit sa tournée alimentaire. Ils sont près de deux cents candidats pour ­l’Angleterre, principalement des Iraniens et des Irakiens, à avoir pris possession des rives du lac en marge de la commune. Les hommes sont dix à quinze par tente, les femmes et les familles dorment dans des cabanons. Dans la cohue de la distribution du repas, Adam, un Irakien de 34 ans, manteau élimé, cheveux hirsutes, me conte son histoire singulière. Lui, il connaît l’Angleterre. Ses compagnons d’infortune ne se lassent pas de l’écouter parler de la terre promise. « Là-bas, vous pouvez me croire, c’est le paradis. C’est pas comme cette foutue jungle ! » Après douze années passées dans la banlieue de Londres avec femme et enfant, il est rentré en Irak : « J’ai voulu rendre visite à mes parents que je n’avais pas revus depuis mon départ. J’étais très inquiet après la prise de Falloujah. »

L’épopée d’Adam a commencé il y a six mois. « Un voyage de la mort. Quand je suis arrivé dans mon village, tout le monde était parti. Je n’avais aucun moyen de joindre mes parents ni de savoir où ils étaient. » En revanche, il a vu « la mort partout, des dépouilles dévorées par les chiens ». Après six pays parcourus, une éprouvante traversée en bateau – « Tu joues ta liberté contre ta vie » – 14 000 dollars dépensés, le voici « coincé dans la jungle ». 

Dans la foule, des femmes, des enfants, des familles en grand nombre. « Avant de partir pour l’Angleterre, les mères nous demandent souvent du sirop pour endormir leur bébé. Elles craignent qu’il ne pleure pendant le trajet en camion », nous confie une bénévole de l’association Salam. Une jeune Iranienne de 15 ans termine son repas auprès de son frère et de ses parents. Après vingt-cinq jours de voyage, elle se sent flottante, « ni mal ni bien ». Un état précaire partagé par Jamileh. Cette étudiante iranienne de 22 ans, née de parents musulmans, s’est récemment convertie au christianisme. Elle fait partie de ces nombreux jeunes qui souhaitent s’affranchir de la propagande religieuse. Si les chrétiens historiques – Assyriens, Arméniens – sont tolérés en Iran, les convertis, considérés comme des apostats de l’islam, sont bien souvent victimes de la répression policière. Environ trois cents d’entre eux auraient été arrêtés ces dernières années. 

Jamileh craint l’enfermement, la pendaison, tout comme ses parents qui ont financé son exil. « Ils ont accepté mon choix religieux mais le dissimulent à tout leur entourage de peur des représailles. Mes amis, eux, n’ont pas compris. » Après dix jours de route à traverser le Moyen-Orient et l’Europe dans un camion, elle a rejoint le camp de Téteghem où elle attend depuis deux mois. Son premier passage pour ­l’Angleterre a échoué : elle a été interpellée avant d’atteindre les côtes. Mais elle ne désespère pas, se rend à la messe le dimanche et continue de croire en sa « bonne étoile ».  

De notre envoyée spéciale ELSA DELAUNAY

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