« Tanger la Blanche, destination mythique. De tout temps, la médina de Tanger a fasciné et inspiré les artistes. Des ruelles anciennement sulfureuses du Petit Socco aux terrasses plus que jamais avant-gardistes des nombreux cafés… », est-il écrit sur le site marocain du tourisme. De tout temps ? Cela n’est pas vrai du tout. Déplaçons-nous, très près, jusqu’aux colonnes d’Hercule, deux éminences appelées aujourd’hui rocher de Gibraltar côté Europe et Jbel Musa côté Maroc. Là, nous trouverons du mythe.

L’insupportable Alcide, bâtard d’Alcmène et de Zeus qui suspendit le temps pour fabriquer en trois nuits un fils braillard et costaud, suscita la jalousie d’Héra, la légitime du roi des dieux. Elle menaçait si fort l’enfant que sa mère l’exposa dans un pré – un coup monté par Athéna. Dans le pré, se promenèrent Héra et Athéna. « Tiens ! Un petit tout nu ! Il a soif, veux-tu lui donner ton lait ? » Et la sage Athéna plaqua l’enfant contre le sein d’Héra. Il la téta si fort qu’elle hurla, et le lait qui jaillit en gouttelettes se répandit en Voie lactée. 

À sa naissance, Alcide n’avait pas encore pris le nom d’Héraclès, Hercule en latin. Parce qu’il refusait d’obéir à son cousin Eurysthée, la jalouse Héra, Junon en latin, frappa Alcide de folie criminelle et il tua ses enfants. Là ! On obéit, cette fois ? On obéit. On prend le nom d’Héraclès ? Oui, patronne. 

Le couard Eurysthée lui donne douze travaux, parmi lesquels une mission aux confins de l’Occident, limite infranchissable de la Méditerranée. Sur l’île d’Érythie, jadis Gabès, maintenant Cadix, Alcide doit capturer des bœufs rouges gardés par un monstre à trois têtes, six jambes et trois corps, aimable personne nommée Géryon. Hercule se met en route et, au passage, frappe de ses poings le sol de la Terre-mère, ouvrant par un séisme un passage entre l’Atlantique et la Méditerranée. De là vient le mythe des colonnes d’Hercule, statufiées du côté andalou par de vains monuments.

Gibraltar en Europe et Ceuta en Afrique. À équidistance du détroit, Cadix en Espagne et Tanger au Maroc. Figure géométrique d’un des travaux d’Hercule le demi-dieu. Tanger est là-dedans, ville blanche avec cafés. 

Mais voyons l’aujourd’hui. Les vraies colonnes d’Hercule ne sont plus Gibraltar et Ceuta, mais un couple terrible, -Ceuta et Melilla, deux villes que réclame le royaume du Maroc, deux enclaves espagnoles où s’entassent les migrants. Melilla héberge plus d’un millier de migrants pour quatre cents places. À Ceuta, l’Espagne a construit un mur de huit kilomètres couronné de barbelés, Valla de Ceuta, avec des câbles souterrains reliés à des capteurs de bruit et de mouvement. Parce qu’en 2005, des migrants avaient sauté le mur de trois mètres et que onze d’entre eux étaient morts abattus, on l’a rehaussé à six mètres. Le 6 février 2014, nouvel assaut, quatorze morts. Le ministre espagnol a parlé de « bousculades ». La Commission européenne a froncé le sourcil et demandé des explications. 

Des explications ! Honte sur elle et sur nous. Pour fracasser les murs de barbelés, il nous faudrait les poings d’un nouvel Hercule capable de dompter le monstre à vingt-huit têtes écervelées, avec leur besoin vital d’immigrés et leur haine jalouse d’outre-frontières. Et Tanger ? Destination mythique, rien à voir, fermez le ban. 

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