Monter à bord d’un vapeur dans un port espagnol et débarquer trois heures plus tard dans un pays pour lequel il n’existe pas de guide touristiqueproduit une sensation de nature à éveiller l’appétit du voyageur le plus repu.

Une telle sensation est à la portée de celui qui prend la peine de gagner, à la rame, dans le port d’Algeciras, ce petit navire noir qui traverse le détroit. À peine le rocher de Gibraltar a-t-il disparu dans les nuages que l’on met le pied sur le sol d’une Afrique presque inconnue. Tanger, certes, figure dans les guides touristiques mais, comme un coucou, elle a dû pondre ses œufs dans d’étranges nids, et le voyageur qui désire s’informer doit acquérir un ouvrage consacré à d’autres pays l’Espagne, le Portugal ou l’Algérie. Il n’existe pas de guide du Maroc et par conséquent aucun moyen de savoir, quand on quitte Tanger, où la longue piste qui traverse le Rif va nous mener, en tout cas dans le sens que prête à ce terme celui qui est habitué aux certitudes européennes. Le vent de l’imprévu souffle depuis les cols inaccessibles de l’Atlas. 

L’impression d’aventure est intensifiée par le contraste entre Tanger la cosmopolite, la surannée, la familière, Tanger que tout touriste visite depuis quarante ans, et ce vaste pays inconnu qui commence au-delà. […]

Avec de telles perspectives il était bien difficile, en ce lumineux matin de septembre 1917, de ne pas quitter promptement Tanger, bien difficile de rendre justice à cette ville bleu pâle, adossée à l’intérieur de remparts ocre contre les jardins touffus de la « Montagne », à l’animation de sa place du marché et à la secrète beauté de ses rues arabes escarpées. Tanger grouille de gens habillés à l’européenne, il y a des enseignes en anglais, en français et en espagnol au-dessus de ses échoppes, des stations de fiacres dans ses squares ; elle est, comme Alger, une sorte de point de passage obligé pour le voyageur. Mais, après une dernière faille de la « Montagne », s’étend un monde de mystère sur lequel se lève l’aube rosée. La voiture nous attendait devant la porte et nous sommes partis.

Extrait de Voyage au Maroc, 1920, traduit de l’anglais par Frédéric Monneyron
© Éditions du Rocher, 1996

 

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