Les conflits du Sahel et de l’Afghanistan – on pourrait ajouter ceux d’Irak et de Syrie – sont marqués par des interventions occidentales qui échouent à stabiliser des sociétés déchirées par des guerres civiles, longues parfois de plusieurs décennies. Si les différences sont évidemment très grandes entre le Mali et l’Afghanistan, il reste des points communs dans la façon dont les puissances occidentales interviennent et il y a, de ce point de vue, quelques leçons à tirer de notre défaite en Afghanistan.

Premièrement, l’aide économique déversée largement sur les zones les plus conflictuelles n’a pas pour effet de stabiliser la situation. Au contraire, elle aggrave considérablement le niveau de violence. En effet, les groupes armés rackettent les ONG et les entreprises qui ont des projets dans ces zones de haute conflictualité. De plus, les sommes sont généralement trop importantes pour être dépensées localement, d’où une corruption accrue. Au mieux, ces investissements ont pour effet de déplacer provisoirement les combats dans les régions voisines, contribuant ainsi à étendre le conflit.

Deuxièmement, les tentatives pour (re)créer des institutions « traditionnelles » qui pourraient faire de la médiation entre les parties engagées dans le conflit échouent très généralement, à moins que l’État ne soit en mesure de faire respecter les engagements de chacun. En d’autres termes, sans l’État, il n’y a pas de pacification possible « par le bas ». Ce n’est pas un hasard si la faillite du secteur judiciaire gouvernemental a eu un rôle central dans l’acceptation sociale des talibans dont les juges permettaient, eux, le règlement des conflits locaux. Dans le même sens, les médiations internationales ont des effets souvent négatifs car ces politiques incitent les acteurs à s’armer pour profiter des opportunités du désarmement.

Troisièmement, la question centrale de ces deux conflits est l’État, sa construction et son rôle. Les politiques suivies en Afghanistan ont été un échec dans la mesure où la classe politique portée au pouvoir après 2001 était dès l’origine totalement corrompue, où les politiques publiques étaient décidées par des acteurs étrangers qui contournaient l’État et l’affaiblissaient du même coup. Mutatis mutandis, le même phénomène se retrouve au Sahel. La guerre se joue (et se perdra probablement) autour de la construction de l’État et, pour le moment, on s’achemine vers une même déroute.

Quatrièmement, les stratégies de milicianisation déployées en Afghanistan ont eu pour conséquence une montée des désordres et des violations des droits humains. Ainsi, la politique de fragmentation de la société afghane menée par l’Otan a échoué à bloquer les talibans, tout en créant une demande de sécurité chez les Afghans, que seuls les talibans ont été à même d’assurer.

Enfin, les négociations avec l’ennemi ont été, dans le cas de l’Afghanistan, toujours engagées à contretemps. Après avoir refusé la reddition (contre amnistie) des talibans en 2002, les Occidentaux n’ont pas mené à terme les discussions entamées en 2012 à Chantilly, alors qu’ils se trouvaient à cette date en position de force. Les pourparlers trop tardifs engagés par Trump n’étaient qu’une reddition. Dans le cas du Mali, il était probablement possible d’amorcer des tractations immédiatement après 2013, mais l’évolution actuelle du conflit laisse présager une radicalisation et un durcissement des positions, rendant impossible une issue négociée.

Ces remarques indiquent une incapacité croissante des puissances occidentales à mener des opérations longues sur des terrains extérieurs, ce qui renvoie à des compétences étatiques déclinantes (en particulier, en matière d’expertise) et, de façon plus fondamentale peut-être, à une vision des sociétés extra-européennes marquée par un net biais orientaliste.

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