Le corps humain, composé environ aux deux tiers d’eau, est fait en grande majorité de liquides, parmi lesquels 5 litres de sang, 2 à 3 litres de lymphe, 150 millilitres de liquide céphalorachidien – cette précieuse substance qui entoure notre cerveau –, sans compter l’urine, la bile, la salive, la sueur, et bien d’autres encore. 

Des liquides dont les neurosciences redécouvrent aujourd’hui l’importance

Les liquides sont si présents dans notre corps qu’on a longtemps cru qu’ils étaient intégralement responsables de nos maladies et de notre bonne santé. En effet, la « théorie des humeurs », popularisée par Hippocrate au Ve siècle avant notre ère, a inspiré toute la médecine européenne jusqu’au XVIIIe siècle. Selon elle, le corps humain serait fait de quatre fluides fondamentaux : le sang, la lymphe, la bile jaune, produite par le foie, et la bile noire – censée être sécrétée par la rate, elle n’a en fait aucune existence réelle, comme l’ont montré les progrès de la science. Chacun de ces fluides est associé à un élément, mais également à un trait de caractère – « humeur » signifiait alors « liquide ». Le sang est lié à l’air et à la jovialité, la lymphe (aussi nommée « flegme ») à l’eau et au calme, la bile jaune au feu et à la violence, et la bile noire à la terre et à la mélancolie. On pensait ainsi que pour être en bonne santé, il fallait maintenir un équilibre parfait entre ces quatre fluides, d’où le recours fréquent aux saignées, supposées purger le malade de certaines « humeurs » excessives, comme en témoigne de manière saisissante Le Malade imaginaire de Molière. L’équilibre des fluides était réputé régir non seulement nos principes vitaux et notre état de santé, mais également notre caractère, notre personnalité, bref, qui nous sommes en tant que personne.

Quelques siècles plus tard, le médecin grec Galien s’est inspiré des idées d’Hippocrate pour développer la « théorie ventriculaire ». Selon cette dernière, un fluide porteur du « principe spirituel » irriguait tout le corps en étant propulsé depuis les ventricules du cerveau jusqu’aux organes via des nerfs supposés creux. D’après cette théorie, le cerveau, et surtout le fluide qu’il était censé produire, se trouvait ainsi à l’origine de notre vie mentale et, donc, de ce que nous sommes. À l’époque, on ne connaissait pas les neurones. Impossible dans ces conditions d’imaginer que les informations pussent circuler dans le corps autrement que sous une forme liquide ! 

Avec l’avènement de la science moderne expérimentale, caractérisée par l’étude de cas cliniques (en particulier de lésions cérébrales) et par l’invention de nouveaux outils d’observation à partir du XVIIIe siècle, ces théories sont progressivement abandonnées. On découvre l’importance centrale du tissu nerveux et des multiples fibres le reliant à nos différents organes : on comprend ainsi qu’il se passe aussi beaucoup de choses dans les parties solides de notre anatomie ! À la fin du XIXe siècle, une découverte en particulier change drastiquement notre compréhension du corps et de son lien au cerveau, celle des neurones. Aidés par les progrès de l’imagerie cérébrale, les neuroscientifiques voient alors le système neuronal comme l’acteur principal de notre corps. Tout ce que l’on est, notre caractère, nos décisions, notre tempérament, serait ainsi déterminé par la connectivité neuronale et le réseau nerveux. Le cerveau serait un organe à part entière par rapport au reste du corps, capable de réaliser « tout seul » toutes nos fonctions cognitives et comportementales. Pour faire simple, nous serions notre cerveau.

Mais il ne faut pas pour autant oublier les fluides ! Depuis une dizaine d’années, les neurosciences se penchent à nouveau sur ces liquides qui avaient été peu à peu mis de côté et l’on redécouvre leur importance dans le conditionnement du cerveau. Au sein de l’Institut de neurosciences de la Timone, nous nous intéressons tout particulièrement à une colonie de neurones qui tapissent le canal central de la moelle épinière et qui seraient capables de capter des informations transmises directement par le liquide céphalorachidien au tissu nerveux. D’une manière générale, on se rend compte que les connexions neuronales et le réseau nerveux ne font pas tout, et qu’ils sont également conditionnés par des facteurs corporels, transmis par le sang et le liquide céphalorachidien, mais aussi directement par d’autres organes et même la peau. En un mot, le corps contrôle autant le cerveau que l’inverse !  

 

Conversation avec L.H.

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