Une natte fine de Samoa se présente comme un grand couvre-lit tissé dans une matière qui ressemble au raphia. Mais ce n’est pas un couvre-lit que l’on vend aux touristes ; non, c’est une généalogie. Et la matière n’est pas du raphia, mais du tressage de bandes de pandanus, un tissu obtenu à partir de la sève de l’écorce du mûrier. Découpez sur un tronc de fines lames d’écorce, prélevez la sève, laissez sécher, roulez, trempez, battez sur une enclume pour faire doubler de largeur ladite sève. Ensuite pliez, rebattez, faites sécher en bouchant les trous éventuels avec du manioc bouilli. Votre natte fine est prête. 

Cette singulière pâte feuilletée représente la famille. La finesse des fibres signale son ancienneté. La quantité de nattes fines que l’on donne désigne la force du pouvoir sacré de la famille. Des nattes fines que l’on donne, mais à qui ? Justement, tout est là. Une natte fine n’existe que pour être donnée à une autre famille qui vous rendra au moins l’équivalent, ou plus. La natte fine, c’est un cadeau. On la déroule devant le destinataire qui s’exclame, on la reroule aussi vite et on la range. Un peu comme le trousseau de draps des mariages à l’ancienne pour les filles en France. 

J’ai reçu en cadeau une natte fine de Samoa, superbement ­blasonnée de duvets mauves. 

Mon neveu ayant choisi Samoa comme terrain d’études, il a une famille samoane d’adoption. Sa matriarche me fit parvenir la natte fine – je suis son équivalent dans ma famille. J’allai aussitôt chercher en parfumerie l’équivalent de ce somptueux présent. La natte était le don, les parfums français le contre-don. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut potlatcher avec une matriarche samoane. 

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