L’humanité est confrontée à un désastre d’ampleur inégalée. « Seule sur sa petite planète », pour reprendre l’expression du biologiste Jared Diamond, elle devrait prendre modèle sur les peuples insulaires qui se préoccupent depuis longtemps de leur survie.

Les îles endossent un rôle symbolique : ces petites surfaces de terre sont exposées aux aléas météorologiques et aux forces de la nature. Les premières alertes y sont émises dans les années 1980 alors que les ressources vitales comme l’eau douce commencent à se dégrader et que surviennent les premières catastrophes météorologiques.

Pour Alexandre Magnan, spécialiste des questions de vulnérabilité et d’adaptation au changement climatique à l’Institut du développement durable et des relations internationales, « quatre grandes menaces pèsent sur ces territoires : l’élévation du niveau de la mer, le réchauffement des eaux, l’acidification de l’océan mondial et les événements extrêmes ». Arrêtons-nous sur chacune d’entre elles.

Le niveau des eaux devrait s’élever de 45 à 82 cm d’ici à 2100. Mais si l’océan déborde, il ne menace pas les îles de la même manière : on sait par exemple qu’il monte plus vite dans l’océan Indien et le Pacifique central (plus 5 mm/an à Tuvalu contre 1,7 mm par an en moyenne au xxe siècle). Il est aussi nécessaire de prendre en compte les capacités d’adaptation des écosystèmes et l’aménagement du littoral dans l’appréhension des menaces de submersion et d’érosion côtière.

Seconde menace : le réchauffement des eaux de surface. Entre 1971 et 2010, les premiers 75 m d’eau se sont réchauffés de 0,11 degrés Celsius par décennie. Ce phénomène entraîne à terme le blanchissement et la mort des coraux. Sans parler des différentes espèces qui migrent par impossibilité de rester dans leur milieu d’origine.

Troisième élément de vigilance : l’acidification des eaux. Les océans absorbent au moins un tiers du CO2 généré par les activités humaines. À terme, le pH de l’eau se modifie progressivement – de 8,18 avant l’ère industrielle à 8,10 aujourd’hui. Il sera de 7,8 en 2100. Or, l’acidité nuit notamment à la constitution des coquilles de certains mollusques (moules, huîtres).

Quatrième problème : les événements extrêmes. S’ils ne seront pas plus fréquents, ils se révéleront sans doute plus intenses. Les cyclones tropicaux peuvent être dévastateurs et s’accompagner de vents d’une vitesse supérieure à 350 km/h. Ils entraînent souvent de fortes pluies et donc des inondations, mais aussi des vagues cycloniques de 4 à 6 m de haut. Résultats ? Une érosion du trait de côte ou un engraissement du littoral avec l’accumulation de sable et de corail arraché sur le récif.

Comment réagir dans ces conditions ? L’incertitude liée à ces menaces ne doit pas freiner l’action. Et les insulaires, véritables sentinelles du climat, savent être réactifs en déployant des solutions avant le reste du monde. Trois grandes options sont aujourd’hui développées au niveau international : le financement de digues hautes et résistantes – comme à Kiribati – pour lutter contre la montée des eaux ; la migration des populations du fait de la submersion des îles ; ou la restauration des écosystèmes. Pour Alexandre Magnan, « cette troisième option est envisagée de façon marginale. C’est pourtant la plus viable. Préserver la mangrove et les récifs coralliens génère des bénéfices en termes de protection côtière, d’alimentation locale et de tourisme ! ». Les deux autres solutions peuvent s’avérer pertinentes dans certains cas isolés, mais elles dépendent aussi des stratégies diplomatiques adoptées par les petites îles.

Lors du sommet Oceania 21 qui s’est tenu fin avril 2015 à Nouméa, vingt parties prenantes essentielles du Pacifique sud (15 États de la Région, ainsi que l’Australie, la France, la Nouvelle-Zélande, l’Union européenne, le secrétariat du Forum des îles du Pacifique) se sont réunies pour élaborer un texte de propositions régionales préalables à Paris Climat 2015. « Nous sommes les victimes vivantes des effets négatifs du changement climatique. Parce que nous sommes petits, nous devons parler d’une seule et unique voix », a alors déclaré Fonotoe Pierre Lauofo, vice-­Premier ministre de Samoa.

Cependant, les attentes des différentes îles ne sont pas les mêmes : quand les Maldives et Kiribati se concentrent sur la montée des eaux et les protections côtières, d’autres îles plus hautes, comme Fidji, se préoccupent davantage des pluies.

Certaines données sont à relativiser. Lors des négociations internationales, les territoires insulaires ne peuvent plus faire valoir systématiquement les risques de submersion qui les menacent ou réclamer un financement pour les migrations de population. Selon Virginie Duvat-Magnan, chercheuse au laboratoire Littoral, environnement et sociétés du CNRS (LIENSs), 83 % des îles coralliennes n’ont pas vu leur superficie se réduire au cours du dernier siècle. L’accumulation de sédiments et le renforcement corallien les ont préservées. Le mal développement joue également un rôle important dans l’altération des écosystèmes : « Les problèmes de demain sont intimement liés aux modes actuels d’occupation de l’espace et d’exploitation des ressources. Pollutions, conflits fonciers, raréfaction des ressources naturelles s’ajoutent aux autres dimensions d’acidification et de changement climatique. Cela accélère le processus de dégradation. Il faut responsabiliser les populations pour limiter les risques », note encore Alexandre Magnan. Pour ce géographe, les îles ne doivent pas s’enfermer dans une posture de victime.

De quoi encourager dès maintenant une meilleure gestion de l’énergie, une agriculture relocalisée et économe en ressources, des activités de pêche optimisée à destination locale, ainsi qu’une meilleure gestion des déchets. Il est également essentiel de sortir de la dépendance aux hydrocarbures fossiles, tant en matière de consommation que d’exploitation des gisements, mais aussi de développer des filières de transformation locale... Vaste programme pour ne plus se sentir isolés et agir en pionniers !  

Vous avez aimé ? Partagez-le !