À écrire, à parler, à n’être que regard,
Toujours inapparents nous sommes. Ce que nous sommes
Ne peut passer ni dans un mot ni dans un livre.
Notre âme infiniment se trouve loin de nous.
Nous avons beau doter nos pensées du vouloir
D’être notre âme et d’en manifester le geste.
Nos cœurs n’en sont pas moins tout incommunicables.
Dans ce que nous montrons nous sommes méconnus.
Ni ruse de pensée ni feinte d’apparence
N’est un pont sur l’abîme entre une âme et une âme.
Vers notre être profond nous sommes les sans-ponts
Voulant pourtant clamer à leur pensée leur être.
Nous sommes nos rêves de nous, des lueurs d’âme,
Chacun est pour autrui rêves d’autrui rêvés.

« Trente-cinq sonnets anglais », traduction d’Olivier Amiel, Dominique Goy-Blanquet et Patrick Quillier, dans Le Violon enchanté, Œuvres de Fernando Pessoa, t. VIII 
© Christian Bourgois éditeur, 1992, 2001

Romain Gary, né Roman Kacew, signa ses œuvres sous cinq noms différents. Loin des centaines de personnalités littéraires inventées par Fernando Pessoa. Mais les deux écrivains partagent la même angoisse de l’incommunicabilité. Dans la fin originale de Gros-Câlin, le narrateur crie à la tribune : « Je suis différent comme tout le monde ! » 

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